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D. ANTONIO CANOVAS DEL CASTILLO

Je me souviens, et je comprends à présent. Comme nous sortions de la Huerta, par cette claire nuit de novembre commençant, tandis que sonnait, haute et joyeuse, la voix d’Emilio Castelar, dans toutes les allées, de tous les massifs, des hommes de police se levaient. D’autres agens veillaient à la grille entr’ouverte. D’autres encore maintenaient les quelques passans attardés qu’avaient fait s’arrêter ici, à l’extrémité de la ville, aux portes de la grande maison dont une des façades regarde la campagne, près de la barrière de Salamanque à cette heure d’ordinaire déserte, les lumières et les voitures. M. Canovas était bien gardé. Huit mois après, Angiolillo a pu trouver et saisir sa minute. Qui sait ? Déjà peut-être, ce soir-là même, parmi ces curieux qui saluaient, un Angiolillo attendait.

Si jamais à un homme d’Etat la mort a pu apparaître en libératrice, certes il ne manquait pas de raisons, — on l’a observé justement, — pour que ce fût, quand la première balle l’a frappé, à M. Canovas del Castillo. Et s’il lui a été donné de se reconnaître, si dans ce puissant esprit s’est faite la suprême lucidité de la fin, sans doute ces raisons ne lui ont-elles pas échappé. Castelar l’a dit devant son corps sanglant : « En ces derniers temps, il portait à lui seul la croix de tous les Espagnols. » C’est vrai : à lui seul, en ces derniers temps, il portait toutes les croix de