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LE DÉSASTRE.

sonne ne venait à son secours. M. Jousset-Gournal le saisit par une olive de ses brandebourgs :

— Suivez-moi bien ! — Il tirailla l’olive comme si toute l’attention de Du Breuil y eût été concentrée. — Je ne m’occupe pas, vous comprenez, de ce qui peut arriver si la guerre est déclarée. Je n’envisage pas ce côté de la question. C’est affaire à vous autres, aux spécialistes. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est de voir mes prévisions sur le point d’être réalisées. Nous sommes aujourd’hui le 6 juillet. Eh bien ! il y a quatre ans, jour pour jour, en apprenant la victoire des armées prussiennes dans le quadrilatère, je me suis dit : « Voilà notre ennemi de demain ! » Et le lendemain, en effet, peu s’en est fallu que la question du grand-duché de Luxembourg ne me donnât raison !

La marquise d’Avilar passa, douairière au masque hardi, aux yeux perçans d’intrigante et d’entremetteuse. Du Breuil la salua. M. Jousset-Gournal se cramponnait à lui :

— Ou je me trompe fort, ou nous allons redorer bientôt d’un lustre éclatant les aigles impériales. Un prince prussien régner à nos portes ! Comment y songer sans indignation !

Et il récita d’une voix convaincue, dégustant au passage chaque virgule, la phrase prononcée par le ministre à la tribune de la Chambre le jour même : — « Le respect des droits d’un peuple voisin ne nous oblige pas à souffrir qu’une puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, puisse déranger à notre détriment l’équilibre actuel des forces en Europe, et mettre en péril les intérêts et l’honneur de la France ! »

Il reprit avec véhémence :

— Voilà l’Empire affermi par l’imposante majorité du plébiscite. La volonté de la France s’est fait connaître. Par la bouche des sept millions cinq cent mille Oui, elle dit au souverain : « Persévérez dans la voie si glorieusement ouverte par le canon de Sébastopol et de Solferino ! » L’opinion s’inquiète, le crédit baisse, ose-t-on prétendre ? Dictons de Berlin notre réponse !

Un petit homme bilieux s’approcha, coupant net la tartine qui emplissait la bouche de M. Jousset-Gournal :

— Quel enthousiasme, monsieur le conseiller ! Pour un des soutiens de l’Empire libéral, vous voilà bien belliqueux !

— Eh ! monsieur l’académicien, après la déclaration que le ministre a lue à la Chambre…