Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On s’accorde généralement sur ce point, que le choix de Rousseau a été mauvais. On ne parle guère de Thérèse Le Vasseur qu’avec hauteur et mépris ; j’avoue que je ne partage pas ces sentimens. et qu’à mon avis on la juge toujours avec trop de sévérité. Il y a sur son compte une opinion toute faite : chacun s’y range sans la contrôler de près. Faisons mieux ; écartons les témoignages de seconde main, et ne nous fions aux médisans qu’à bonnes enseignes.

Il y a deux personnes qui méritent d’être écoutées avec confiance, quand elles parlent de Thérèse Le Vasseur : c’est Mme d’Épinay et Mme de Verdelin : l’une et l’autre l’ont suivie pendant plusieurs années, et sont des femmes d’un esprit judicieux. Malheureusement elles ne sont pas d’accord sur son compte.

Mme d’Epinay n’y va pas par quatre chemins. Dans une lettre adressée à Grimm, elle caractérise Thérèse par quelques mots très rudes : « une fille jalouse, dit-elle, bête, bavarde et menteuse. » Voilà Thérèse bien arrangée. Mais regardons-y de plus près, et reprenons chaque point.

Thérèse était bavarde. Mon Dieu, oui, elle l’était ; ce n’est pas un cas pendable. Rousseau a reconnu lui-même ce défaut chez sa compagne, et il en parle avec philosophie dans une lettre à son ami Du Peyrou : « Je suis très fâché, lui dit-il, que M. de Pury ait à se plaindre de quelques propos de Mlle Le Vasseur, qui probablement lui ont été mal rendus ; mais je suis surpris en même temps qu’un homme d’autant d’esprit daigne faire attention à ces petits bavardages femelles. Les femmes sont faites pour cailleter, et les hommes pour en rire. J’ai si bien pris mon parti sur tous ces dits et redits de commères, qu’ils sont pour moi comme n’existant pas ; il n’y a que ce moyen de vivre en repos. » Peut-on mieux dire, et que pourrions-nous ajouter ?

Thérèse était jalouse. La lettre que je citais tout à l’heure, de Mme d’Epinay, est du temps où Jean-Jacques s’était épris de Mme d’Houdetot. On sait les longues promenades qu’ils faisaient ensemble. Quand Thérèse le voyait partir pour aller rejoindre celle qu’il aimait, n’était-il pas naturel qu’elle ressentît quelque jalousie, et lui en ferons-nous un reproche ?

Thérèse était menteuse, Mme d’Epinay nous l’assure ; je ne la contredirai pas : elle a eu sans doute l’occasion de prendre en faute la pauvre fille. Mme d’Epinay avait une supériorité de rang qui lui permettait de parler à Thérèse d’un ton qu’elle n’eût pas