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façon de Brutus en barrette ducale, qui, pour avoir voulu inaugurer à Venise une ère de justice et de vérité, pour avoir tenté de défendre le peuple contre la tyrannie des patriciens, aurait été décapité sur l’Escalier des Géans, — lequel d’ailleurs, soit dit en passant, a été construit par Antoine Rizzo, près d’un siècle plus tard : — tandis que la critique historique a péremptoirement établi que l’ambition avait été le seul mobile de la conjuration du vieux doge, et que le seul rêve du vieillard avait été, à la faveur du mécontentement populaire, d’assurer à sa famille la souveraineté de Venise. »

Quant à Jacques Foscari, l’unique tort du gouvernement vénitien a été, à son égard, un excès d’indulgence. Exilé à Nauplie, puis à la Canée, pour des délits de droit commun où le roman n’avait rien à voir, il s’est ensuite rendu coupable de trahison, en négociant avec les Turcs, et son emprisonnement à Candie n’a été que trop juste, comme aussi le déshonneur qui en a rejailli sur les siens.

Légendes encore, l’assassinat de François de Carrara et de ses fils dans les prisons de Venise en 1506, et la condamnation à mort, en 1507, d’un boulanger faussement accusé de meurtre, puis, bientôt après, reconnu innocent ; légende, l’injuste exécution du comte de Carmagnola, qui ne fut, au demeurant, qu’un traître de bas étage. Dans toutes les archives du gouvernement de la République, M. Molmenti n’a découvert qu’un seul cas d’injuste condamnation : c’est le cas de ce Foscarini dont les poètes ont raconté que, s’échappant de la chambre de sa maîtresse, il s’était réfugié dans le palais de l’ambassadeur d’Espagne, qu’il y avait été surpris, et que, plutôt que de trahir l’honneur d’une femme, il s’était laissé condamner pour négociations secrètes avec une puissance étrangère. Tout autre est la véritable histoire de ce malheureux, et l’amour ne paraît pas y avoir eu de rôle : mais l’atrocité de sa fin tragique n’en subsiste pas moins. Accusé à deux reprises de haute trahison, Foscarini fut, en effet, la seconde fois, condamné à mort et décapité : son crime avait paru si certain, les preuves fournies avaient été si accablantes, que Paolo Sarpi lui-même, son intime ami, avait refusé de toucher à un legs qu’il lui avait fait, ne voulant rien recevoir de la main d’un traître. Et c’est seulement après sa mort qu’on avait reconnu l’injustice des accusations portées contre lui ; sur quoi le Conseil des Dix avait aussitôt décrété qu’une pierre serait placée dans l’église Saint-Eustache, proclamant l’innocence du condamné et la fatale erreur de ses juges.

« Exemple unique dans l’histoire ! » s’écrie à ce propos M. Molmenti, trouvant, comme l’on voit, jusque dans les fautes du gouvernement