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LES REVUES ETRANGÈRES

L’AGONIE DE VENISE

Venezia, nuovi studi di storia e d’arte, par M. Pompeo Molmenti, Florence, 1897.

Dans un des passages les plus éloquens de l’étrange réquisitoire que je signalais ici le mois passé, le docteur Méhemet Emin Efendi reproche à notre civilisation d’introduire partout la monotonie, la laideur, et l’ennui. « Encore un siècle ou deux de cette civilisation, dit-il, et l’univers entier deviendra inhabitable. Une odieuse uniformité achèvera de détruire toutes les distinctions de races, de mœurs, et jusqu’aux particularités naturelles des divers pays. Quelle perspective sinistre, pour tout homme gardant un peu le respect de la nature et le goût de la beauté ! D’un bout à l’autre du monde un même style d’architecture, une même coupe de vêtement, une même façon de sentir, de penser, et de vivre ! Pour peu que cette civilisation poursuive ses ravages, que pourra noter, sur son carnet de route, le voyageur du siècle prochain ? Il notera qu’il a mangé à Tombouctou un excellent beefsteak, qu’à Samarkand les cafés-concerts sont fort bien, aménagés, et qu’on trouve des wagons (très commodes entre le Cap et Alexandrie. » Puis, s’arrêtant brusquement : « Mais à quoi bon, s’écrie-t-il, insister sur ces griefs, puisqu’il n’y a plus désormais personne pour en être touché ! »

Voilà un point, tout au moins, sur lequel M. Méhemet Emin nous fait trop d’injure. Nous ne sommes pas, Dieu merci, tombés aussi bas qu’il croit, et maints hommes se trouvent encore, aux quatre coins de