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davantage, c’est que l’administration ne fût pas bientôt poussée par l’opinion à entrer dans la voie qui vient de lui être tracée.

On a remarqué souvent que l’instituteur rural, s’il ne se mêle que de ce qui le regarde, — de l’enseignement, — n’exerce pas dans le village une autorité bien grande. Il n’en acquiert une véritable que lorsqu’il fait de la politique et se pose en bomme de parti. Ce devrait être le contraire. L’homme est ainsi fait : le poison a plus d’attrait pour lui que les plus fortifiantes substances. On admet la supériorité de l’instituteur en écriture et en grammaire. Il sait compter plus vite sinon plus exactement que celui qui vient lui demander avis ou conseil à peu près sur tout excepté sur l’agriculture. On a vu le paysan consulter l’instituteur sur les points les plus délicats de la jurisprudence ou même sur l’architecture de sa maison, jamais sur la semence ou l’engrais qu’il devait répandre dans son champ. En matière agricole, il est tenu pour incompétent. Quand on l’aura bourré d’un peu de science théorique à l’école normale, on le tiendra pour suspect. Il l’est déjà quand il sait quelque chose.

En Bretagne on s’y prend d’autre façon : on associe l’agriculteur lui-même à l’enseignement. Dans l’école, les principes élémentaires de la culture sont l’objet de cours spéciaux ; mais tous les exercices de langue, de mathématiques, ne sont plus exclusivement dirigés vers la géographie et l’histoire. Sans exclure ces notions, les moins nécessaires à l’homme des champs, sans rien rogner à la morale, en l’appliquant au contraire à ce qui touche de plus près le campagnard, à ses intérêts, on mêle la culture du sol à toutes les dictées, on en fait ressortir l’importance, le besoin, les richesses qu’on en peut tirer. Et si le maître est habile il y fera entrer les notions scientifiques les plus nécessaires, il familiarisera l’élève avec les termes un peu barbares de la chimie agricole, il lui montrera que son père fait chaque jour de la chimie sans le savoir.

Déjà instruits théoriquement, les élèves à certains jours et à certains momens de l’année sont périodiquement conduits au professeur pratique. Qui est ce professeur ? Ce ne sera pas un salarié du gouvernement, ce ne sera pas un ancien élève diplômé de Grignon ou de Montpellier, ni même de l’Institut agronomique : il en faudrait un trop grand nombre, et ils rencontreraient une défiance invincible. Il faut réserver ces utiles professeurs pour un public plus élevé et déjà préparé. Le « professeur pratique « sera un simple cultivateur du pays qui a bonne renommée de prudence et de sagesse, qui fait bien ses affaires et gagne de l’argent là où d’autres en perdent. Il n’y a guère de village