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une étude un peu longue et ardue, l’auteur ne gâte pas une partie de ses conclusions par quelque confusion vicieuse. Au milieu des jeux de mots qui le tentent de toute part dès qu’il veut sortir des banalités courantes ou des idées déjà formées, il lui est difficile de garder toujours l’équilibre ; de profiter des avantages que lui offre la plasticité sans en faire abus. C’est aussi que la langue n’a pas toujours été très bien faite. L’indécision du sens des mots correspond bien dans une certaine mesure à l’indétermination des choses et permet de rappeler aisément certains rapports fondamentaux qui les unissent, mais elle ne se prête pas toujours bien à cet office. Elle a été formée par des esprits imparfaits, pour exprimer souvent des idées fausses, superficielles ou grossières. Elle offre donc une résistance appréciable à celui qui veut la refaire, ce qui s’impose plus ou moins à chacun selon ses besoins et son pouvoir ; et c’est ainsi que se créent de nouvelles sources d’équivoque. L’association par ressemblance agira ici comme toujours, et son activité sera dangereuse aussi bien que profitable[1].


VII

Ainsi, un même fait psychologique assez élémentaire, — l’association dans l’esprit des sons semblables ou identiques et des idées, des images, des sentimens qu’éveillent naturellement ces sons, — est la raison d’être, est une condition essentielle d’une immense quantité de faits qui vont du calembour inconscient de l’aliéné, au jeu de mots plus ou moins plaisant, à l’allusion fine et voilée et, bien plus loin encore, à l’évolution de nos moyens d’expression, à la création de nos termes littéraires, au développement de nos idées et de nos conceptions religieuses et philosophiques. Partout nous trouvons, non seulement que l’assonance agit, mais que son pouvoir se manifeste, non pas toujours, mais très souvent, par toute une série d’erreurs et de méprises variées qui peuvent devenir utiles et fécondes. Et si, au lieu

  1. Je n’indique ici que l’influence intellectuelle de l’assonance. Son influence sur les affections n’est pas moins importante. Elle est indirecte et se rattache aux effets produits sur l’intelligence, mais, en certains cas, elle est surtout visible et parait l’emporter. Des émotions fugitives comme des sentimens durables sont dues pour une part à des méprises sur le sens des mots, à des associations éveillées par l’assonance. Il serait trop long de le montrer en détail, mais cela résulte suffisamment de ce qui vient d’être dit.