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comprend que le danger de confondre ces deux sens peut ne pas aller sans quelque compensation, et que, si la méprise est à éviter, le rapprochement peut être utile.

De même la méprise sur la sélection naturelle nous fera réfléchir. En quoi le choix de la nature diffère-t-il du nôtre, et, en général, de celui qu’un être intelligent serait capable de faire ? Cela saute d’abord aux yeux, mais si l’on regarde de plus près, peut-être verra-t-on entre les deux plus d’analogie qu’on ne l’aurait cru. Les résultats sont à peu près analogues, et c’est déjà un point intéressant, mais les mécanismes ne sont pas sans ressemblance. Il n’a pas été impossible de retrouver dans l’esprit même de l’homme la lutte pour la vie et la sélection nécessaire qui en résulte par la survivance des plus aptes. Notre choix lui aussi n’est-il pas une véritable sélection naturelle quand des motifs, des idées, des tendances diverses luttent en nous, et que l’un de ces élémens, mieux adapté au milieu psychique et physiologique dans lequel il se produit, plus vigoureux, plus intense, finit par triompher et se fait même accepter volontairement par nous pendant que ses rivaux disparaissent ? Si l’on a pu retrouver dans la nature comme une apparence de choix intelligent, notre intelligence et notre volonté agissent comme des forces naturelles. Parfois le hasard y règne et le triomphe des idées les plus fortes ou des désirs les plus légitimes ne diffère pas toujours essentiellement de la survivance de l’animal le mieux doué ou le plus heureusement placé au sein d’une nature indifférente ou aveugle. La « sélection naturelle » est une occasion de rapprocher la nature de l’esprit, parce qu’elle a permis aussi de rapprocher l’esprit de la nature. Ces vérités, que nous pouvons tirer de confusions habituelles, y existent en germe, elles ont pu déjà, avant d’être reconnues, produire de bons effets. Il n’y a qu’à débarrasser les idées de quelques élémens parasites pour leur donner la pureté et l’exactitude qui leur manquaient. Mais il faut reconnaître que, dans bien des cas, la vérité pure aurait été moins bien accueillie que le mélange hétérogène qui, précisément à cause de sa complexité et de son incohérence, trouve plus facilement à s’accrocher par quelque bout dans un esprit d’homme toujours imparfait, illogique et incapable d’un degré d’abstraction extrêmement élevé. Non seulement la confusion est malheureusement un procédé général, mais on peut dire que, plus malheureusement encore, elle est d’une utilité générale pour le progrès des idées.