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Mais que de fois aussi n’arrive-t-il pas qu’une confusion suggère des idées supérieures à celles qu’aurait données le sens rigoureusement exact ! Un grand courant d’idées dont les résultats pourront être salutaires et d’une immense portée ne commence Lien souvent, et surtout ne s’élargit que par d’involontaires confusions sur des mots que chacun comprend à sa manière. Cela s’est vu pour la Réforme et pour la Révolution ; cela se voit à peu près toutes les fois qu’on se rallie autour d’un mot, toutes les fois qu’il se produit un courant d’idées large et fort. Si l’on se comprenait très exactement les uns les autres, peut-être agirait-on moins souvent de concert.

Au point de vue de la pratique, il n’est pas douteux que nos erreurs puissent être fécondes. Même au point de vue de la science toutes les méprises ne sont pas à regretter. Il faut tâcher de les éviter ; il faut aussi, si l’on veut, critiquer ceux qui les ont commises ; il faut surtout voir comment ils se sont trompés, d’abord pour ne pas faire comme eux et aussi parce que leur erreur peut nous instruire. Déjà elle a peut-être permis, au prix d’une illusion, de réaliser un progrès théorique et d’en préparer d’autres. Une fois avertis, nous saurons développer les avantages obtenus et faire naître les autres. Si nous examinons, par exemple, Terreur qui a fait confondre les différens sens du mot conscience, nous ne tardons pas à voir que, sous la diversité des idées, se retrouvent certains caractères communs qu’il était bien difficile de voir avec précision sans confondre les sens distincts et sans les séparer arbitrairement. Après tout, entre connaître notre état d’esprit et le juger en jugeant aussi l’état d’esprit des autres que nous faisons revivre en nous, il n’y a pas un abîme. L’une des opérations implique l’autre, car s’il est bien évident qu’on ne peut juger sans connaître, il n’est pas moins vrai, — bien que la vérité en soit moins acceptée, — qu’on ne peut bien connaître sans juger. Connaître bien une chose c’est en savoir les causes et les effets, les relations multiples avec tout ce qui l’entoure, c’est pouvoir en dire le caractère utile ou nuisible. Toute connaissance implique un jugement du genre dont le jugement moral est une espèce, comme tout jugement implique une connaissance. La connaissance complète des êtres à propos de qui le jugement moral peut intervenir implique donc ce jugement. L’un des sens du mot conscience indique seulement une connaissance plus approfondie et en même temps un instinct plus spécialisé. On