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se dessinent. Les idées bizarres qu’on a pu entendre énoncer à propos de la loi sur le divorce, de l’hypnotisme, de l’anarchie, montrent bien le singulier rôle du mot comme agent de méprise et comme facteur de confusions plus ou moins durables et fécondes. L’égalité, qui, dans la bouche d’un théoricien politique, peut avoir un sens à peu près satisfaisant, bien que je l’aie toujours trouvé insuffisamment précis, devient pour trop de gens le prétexte de croyances vagues, à moitié justes, à moitié fausses, et de désirs, à moitié légitimes, à moitié excessifs, et certainement plus vifs qu’ils ne sont clairvoyans.

Une cause assez fréquente de confusion est la transposition de formules très exactes dans un ordre d’idées ou de faits pour lequel elles ne sont pas faites. On se livre ainsi à de véritables jeux de mots qui vont de l’allusion fine et parfaitement légitime à la méprise incontestable. Des brocards juridiques sont ainsi souvent cités dans un sens détourné, et il n’y aurait sans doute rien de mal à cela si l’on ne prétendait faire profiter le nouveau sens de l’autorité acquise à l’ancien. Les formules scientifiques ont le même sort. L’expression « rien ne se perd, rien ne se crée », qui a une signification très précise en physique, peut devenir ailleurs une maxime plus que contestable. Il se perd beaucoup de choses et il s’en crée aussi quelques-unes. Cela n’empêche pas de rappeler la loi scientifique pour appuyer des idées qu’aucune logique ne justifie et qui ne se fondent que sur un véritable jeu de mots portant sur toute une phrase. Parfois aussi cette transposition de formules n’est guère qu’une plaisanterie, une manière piquante de présenter un fait en appelant vivement l’attention sur le point qu’on veut faire ressortir.

Bien entendu les confusions sur lesquelles j’appelle ici l’attention ne sont pas, dans l’histoire de la pensée humaine, des exceptions sans importance, des cas rares et singuliers. Je crois que la méprise a joué un rôle très important dans l’évolution des philosophies, comme l’association par assonance, qui en est le fondement, a puissamment contribué au développement des langues, des mythes et des formes littéraires. Je ne suis pas bien sûr qu’à l’origine d’un grand nombre de systèmes on ne trouvât non seulement l’association par juxtaposition des sens divers autour d’un même son et le passage de l’un à l’autre, mais encore de véritables méprises. Dans un des premiers écrits qui le désignèrent comme un penseur et un écrivain d’avenir, Taine releva deux équivoques