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V

Il était impossible que l’association par assonance, prenant part à la création du langage et des formes littéraires, n’exerçât pas une influence indirecte et puissante sur l’évolution de la pensée. La forme d’une langue détermine toujours jusqu’à un certain point la nature des intelligences qui s’en servent ; les procédés littéraires ne restent pas sans effet sur le fonctionnement même de l’esprit : et. d’une manière générale, la façon dont on emploie les mots ne peut qu’agir sur la façon dont on forme et dont on arrange les idées. Le fait est que des confusions et des jeux de mots ont beaucoup contribué à la formation de nos conceptions du monde, à la naissance des mythes, et au développement des religions.

Les opinions ont varié sur la nature et la portée de leur action. Pour tous ceux qui, acceptant absolument la théorie de Max Müller sur le mythe verbal, penseraient que les premières légendes ont été fondées sur des erreurs de sens, et que la mythologie est une maladie du langage, cette action serait très considérable. Elle n’est pas nulle pour ceux qui ne voient dans le mythe qu’une interprétation des phénomènes naturels, telle que pouvait la concevoir et l’admettre un esprit primitif. Rien n’empêche du reste que les deux doctrines n’aient leur part de vérité, et cela même est assez vraisemblable. Car pourquoi certains mythes ne seraient-ils pas les résultats d’un langage insuffisamment précis et forcément mal compris, tandis que les autres seraient simplement des hypothèses plus ou moins absurdes, construites, selon ses moyens, par l’imagination de l’homme, puisque nous avons encore vu de nos jours des opinions se former selon ces deux procédés ? En tout cas, l’état psychologique que suppose la théorie du mythe verbal doit bien avoir été réel, puisqu’il subsiste encore aujourd’hui, et précisément en tant que nous sommes encore des primitifs, et par rapport aux domaines qui restent inexplorés[1].

A l’époque où se formèrent les mythes, la signification des

  1. M. Lang, l’un des représentans les plus connus de l’école anthropologique, l’un des principaux adversaires du système de Max Müller, reconnaît qu’ « il n’est pas douteux qu’un grand nombre de mythes, de ceux particulièrement qui se rapportent aux noms de lieux, aient pour origine des étymologies populaires ; ce qui est contestable et contesté, c’est qu’il faille donner une aussi large place à cette cause dans la formation des mythes. » Mythes et cultes et religions. Trad. De M. Marinier, p. 523 (en note). Cela me suffit, en somme, pour montrer la tendance à l’association par assonance et son rôle.