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prendra au collet et vous n’aurez nullement à la chercher. »

Quant à la suggestion du sens par la rime, elle est bien connue aussi : Malherbe recommandait déjà de choisir pour rimes des mots dont les sens n’eussent pas de trop visibles rapports, afin que la pensée fût plus forte et plus imprévue. On a beaucoup remarqué que, chez Boileau comme chez Molière, le second vers était assez souvent fait avant le premier et amenait plus ou moins péniblement celui-ci par l’intermédiaire du mot mis à la rime, sorte de gond autour duquel tournait la pensée de l’auteur. Il n’est pas rare, lorsqu’on lit des vers, qu’on puisse se rendre compte de l’attraction exercée par certains mots sur d’autres mots et sur les images qui les suivent.

L’art des vers repose souvent, chez les poètes qui sont vraiment nés poètes, sur une merveilleuse faculté d’associer les mots par assonance mise au service des sentimens, des idées, du sens rythmique de celui qui la possède. En ce point le poète ressemble à l’amateur de calembours. J’aime à croire qu’il est inutile d’insister sur les différences. Remarquons aussi que de l’allitération à l’assonance, de l’assonance à la rime faible, de la rime faible à la rime riche, on va se rapprochant du calembour, qui est comme la forme morbide que prennent tous les développemens excessifs des formes normales de l’association par assonance. Quelques versificateurs ont d’ailleurs recherché volontairement la rime riche et le calembour véritable. Alors, comme dans toutes les déviations, l’équilibre s’est rompu : au lieu d’être subordonnée aux sentimens, aux idées, au rythme, la faculté d’assonance se les est subordonnés presque entièrement. Quelques auteurs, suivant trop la lettre du vers de Sainte-Beuve, ont sacrifié à la richesse de la rime les vrais rythmes du vers qu’elle ne peut remplacer, et surtout le fond même de la poésie. L’amusement individuel a parfois, encore ici, remplacé la fonction générale. On est arrivé, à force, de développer la richesse de la rime, au calembour complet. Th. de Banville a visiblement pris plaisir à faire des vers comme ceux-ci :


si j’ai pu flirter incidemment,
Urgèle, qui jamais ne parle ainsi d’amant...


Enfin la poésie dépasse le calembour, ou le multiplie hors de toute proportion, lorsque le poète s’amuse à faire deux vers rimant ensemble d’un bout à l’autre, ou même, cela s’est vu.