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au XIIIe, lorsque la langue vulgaire l’emporta, on avait quelquefois à écrire dans des chartes ou des chroniques en latin des noms de lieux dont on ne connaissait que la forme française. On traduisait cette forme en latin par un véritable calembour qui, parfois, a laissé des traces. Sannois, par exemple, fut traduit par Centum nuces, Louâtre par Lupus ater. Dans l’Indre-et-Loire on trouve un Cinq Mars qui proviendrait d’un saint Mard ou saint Médard, par l’intermédiaire de Quinque martes[1].

Nous retrouvons l’influence de la confusion des sens et les déviations qui en sont l’effet ailleurs que dans la formation des noms de lieu. Les mots parapluie, paratonnerre, paracrotte, etc., ont été formés sur le modèle de parasol, qui est lui-même d’origine espagnole, para-sol, arrête soleil. « Mais, dit M. Darmesteter, pour influer sur la formation de mots analogues, le mot a dû être décomposé en élémens français, on a dû y voir pare à sol, pare à pluie. La préposition à n’existe pas dans le composé primitif, mais elle a été mise dans le composé français par l’imagination populaire[2]. » Et si l’on veut croire que les analogues français se sont formés parfois plus instinctivement et sans analyse consciente, l’appel des sons n’en est guère moins important et l’analyse erronée a toujours pu et dû confirmer la formation instinctive et, sans doute, la répandre et en faciliter l’usage.

Après la forme des mots, nous voyons l’association des sons semblables en modifier le sens. Quand deux mots se ressemblent par le son, il arrive assez souvent que leurs sens se confondent et que l’un exerce sur l’autre une sorte d’attraction. Génin en a relevé plus d’un exemple dans un livre amusant, mais vieilli et peut-être même trop dédaigné aujourd’hui. M. Bréal a indiqué la confusion qui s’est faite dans les esprits entre vil et vilain. Vil est l’équivalent du latin vilis ; le vilain était l’habitant de la villa, le serf, le roturier. Il signale aussi le rapprochement qu’on fait volontiers entre habit et habillé. Habillé, « qu’on devrait écrire abillé, est une expression métaphorique dont la signification est « apprêté, arrangé ». On l’a employé d’abord en parlant du bois, et le souvenir de l’ancien sens s’est conservé dans les expressions : « habiller un poulet, le voilà bien habillé. » De même on fait facilement un rapprochement entre force et forcené, qui s’écrivait

  1. Quicherat, De la formation française des anciens noms de lieux : , p. 18, 79.
  2. A. Darmesteter, De la création actuelle de mots nouveaux dans la langue française et des lois qui la régissent, p. 164.