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sens forme comme une bifurcation. Dans le rêve, dans la folie, le rôle de l’assonance devient frappant. Elle impose à l’esprit des séries d’images dont le lien ne se révèle que par une minutieuse analyse. M. Maury fait en rêve un pèlerinage à Jérusalem, puis il se trouve chez M. Pelletier, le chimiste, qui lui donne une pelle. Cette pelle joue un rôle important dans une nouvelle aventure, et les trois scènes différentes du rêve sont ainsi reliées entre elles par l’identité partielle des mots pèlerinage, pelle et Pelletier. Une autre fois il pense au mot kilomètre et rêve qu’il lit, sur une route, les bornes indicatrices des distances, puis il voit accumulés des kilos sur le plateau d’une balance, après il est question de l’île Gilolo, ensuite apparaissent le lobélia, le général Lopez, et le rêve se termine par une partie de loto. Ici, bien évidemment, la syllabe Io a été le pivot des images successives qui se sont en quelque sorte remplacées autour d’elle. Une autre fois encore la succession des scènes est due à l’assonance des mots jardin, Chardin, et Janin. Le dormeur voit en songe le Jardin des plantes où il rencontre le voyageur Chardin qui lui donne un roman de Jules Janin. Ces associations sont de véritables calembours incomplets et rudimentaires.

Chez les fous ces liaisons d’idées et de mots ne sont pas rares[1]. On a souvent cité le malade de Trousseau qui avait écrit plus de cinq cents pages de mots selon les hasards d’une association provoquée en partie par le sens, mais surtout par l’assonance : « Chat, chapeau, peau, manchon, main, manches, robes, jupons, poupon, rose, bouquet, bouquetière, cimetière, bière, etc. » Un autre aliéné écrivait des phrases dans le genre de celle-ci où l’on voit très bien la double influence du sens et du son, et où nous saisissons assez bien le mécanisme de l’esprit en qui les systèmes d’idées directrices viennent à se relâcher : « Si au lieu de m’appeler censure je m’appelais tombola. (On donnera des dessins, des broderies, des fadaises, quoi !) Tombe ô la Censure ! Or donc, messieurs et mesdames, nous dirons que pour l’usage des fous sensés, quelques censés fous ont pensé à la création d’une censure[2]. » Parfois, au lieu d’un rapprochement de sons identiques ou semblables, nous avons la confusion de deux homonymes en un seul mot. Un ancien prêtre voulait fonder

  1. Voir en particulier les Troubles du langage chez les aliénés, par M. le Dr Séglas. 1er partie, ch. IV.
  2. Regnard, les Maladies épidémiques de l’esprit.