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pour peu qu’on y veuille appliquer son attention, cette allure de la causerie. Même dans une conversation suivie, dans une discussion sérieuse, il faut une grande vigueur d’esprit et une rare précision pour éviter les confusions et les erreurs involontaires toujours possibles.

A mesure que l’attention se relâche, et que les tendances directrices s’affaiblissent, l’empire de l’assonance s’étend. Il est considérable aussi, et pour des raisons faciles à entendre, avant que ces idées directrices ne se soient formées. Tant que des habitudes régulières n’ont pas été prises, on voit l’esprit hésiter, tâtonner, passer selon les hasards de l’assonance d’un mot à un mot voisin, d’une idée à une idée différente. Les gens qui parlent de choses qu’ils ne savent pas se méprennent aisément sur la forme des mots et rapprochent des sens et des idées qui ne peuvent s’accorder. Les sens divers amenés par des rapprochemens bizarres se heurtent sans pouvoir former un tout à peu près homogène. Il se produit des lapsus comme fièvre moqueuse pour fièvre muqueuse ; et des erreurs provenant d’associations trop superficielles, comme l’opinion que les boissons fortes donnent « de la force. » Ces faits sont très fréquens tant que les idées ne sont pas débrouillées, rendues claires, logiquement associées. Ils caractérisent l’état primitif de la pensée, et il ne faut pas les prendre pour le signe d’une intelligence inférieure. Ils indiquent plutôt le premier moment, — lequel n’est parfois suivi d’aucun autre, — de la formation des idées, des doctrines, des produits psychiques de toute espèce. On ne les rencontre guère moins dans les esprits puissans, en qui germent les idées qui vont transformer les sciences ou les sociétés, que chez les intelligences étroites en qui commencent à s’infiltrer des connaissances ou des croyances longtemps établies mais qui parviennent à peine jusqu’à elles. Tout le temps des origines, l’époque où les idées, les langues, les religions même commencent à s’organiser, où les habitudes mentales se dessinent, sont naturellement fort propres à la naissance des confusions de diverse nature et, en particulier, de celles qui résultent du rapprochement plus ou moins incohérent des sens différens rattachés à des sons semblables.

Nous voyons revenir ces méprises dès que les idées directrices se relâchent ou disparaissent. La simple distraction amène déjà des quiproquos parfois amusans. Il n’est pas rare de voir l’esprit inattentif changer de voie à la faveur d’un son dont le double