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rigoureuse, sans effort imposé. Tout le monde a pu observer avec quelle facilité les mots qui se ressemblent s’appellent l’un l’autre, lorsque nulle raison particulière ne vient empêcher cette association. L’assonance et l’allitération, qui sont comme des formes affaiblies du calembour, sont naturelles comme lui. C’est le fait essentiel qu’il nous faut tout d’abord mettre en lumière pour expliquer l’importance qu’ont pu prendre, dans l’histoire de l’esprit humain, ces formes inférieures de la pensée. Il implique, avec l’association des mots semblables, l’association des sens qui sont étroitement reliés à ces mots, et, tout naturellement, l’association des sens divers d’un même mot.

Ce qui empêche bien souvent de voir la réalité et la force de ces associations, c’est qu’elles restent virtuelles dans un grand nombre de circonstances. Dans le cours ordinaire de la vie, quand nous sommes éveillés, sains d’esprit, et que nous n’avons aucun motif de rechercher les calembours, les mots s’associent en nous selon leur sens et non d’après leur son, comme M. Bréal l’a bien fait remarquer ; et ils n’éveillent que les idées logiquement appelées par les mots voisins. Si je parle des chaînes d’un prisonnier, je ne penserai pas aux autres sens qui peuvent être ceux du mot chaîne, et bien moins encore à l’arbre dont le nom sonne à peu près de la même manière. Si l’esprit est sérieusement occupé et s’il fait bien son œuvre, ces confusions ne se produisent généralement pas. Mais les tendances qui les feraient naître sont enrayées et non détruites ; elles agissent dès qu’elles le peuvent, quand l’attention se relâche, dans le rêve, ou quand la maladie délie les idées et les laisse, pour ainsi dire, divaguer sans contrôle.

Alors nous ne luttons plus avec succès contre l’envahissement du calembour. Parfois on n’essaie pas d’y résister et même on l’encourage ; parfois aussi l’on ne l’aperçoit pas, il résulte d’une méprise dont nous demeurons ignorans. L’association des sons semblables et des sens qui leur correspondent est une des formes que prend le caprice des idées livrées à elles-mêmes sans la direction d’une idée supérieure qui les domine. Déjà ce n’est pas toujours sans peine qu’on évite les répétitions et les assonances quand l’on écrit ou que l’on cause. Si l’on parle familièrement et sans but précis, le double sens d’un mot, les idées disparates éveillées par des analogies de sons, forcent la causerie à dévier et la font tourner comme sur un pivot. On peut remarquer aisément,