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pas irréductible, et j’aurai l’occasion d’indiquer tout à l’heure comment il résulte du jeu intime des élémens de notre esprit, mais nous pouvons, pour le moment, le prendre en bloc tel qu’il est. Une série de généralisations justes ou fausses, et même toujours, à l’origine, plus ou moins fausses et troublées par des élémens parasites ou défigurées par l’absence d’élémens importans ou essentiels, c’est l’évolution de l’esprit humain et de ses produits vue par un de ses côtés essentiels. La confusion est la mère des idées. Le sauvage qui ne distinguait pas l’animé de l’inanimé ou prêtait des désirs et des volontés aux pierres et aux arbres, a préparé la voie au monisme contemporain, et à la théorie de l’unité des forces naturelles. Le premier germe de la pratique des injections de substances empruntées à des êtres vivans, pratique dont les résultats sont si curieux et qui d’ailleurs ne sont pas encore arrivés à leur constitution définitive, se trouve peut-être chez les hommes naïfs qui pensaient augmenter leur vaillance en mangeant le cœur d’un animal courageux.

Parmi toutes les méprises fécondes, les généralisations trompeuses et puissantes qui nous ont faits ce que nous sommes, il en est une dont je voudrais indiquer ici la portée et l’influence, c’est celle qui a fait rapprocher dans l’esprit de l’homme les choses, les idées désignées par un même son ou par des sons à peu près semblables et qui s’appellent naturellement l’un l’autre. Cette opération est l’essence même du calembour ; elle a été l’un des plus puissans facteurs de l’esprit humain ; et, si je ne me trompe, en même temps que nos connaissances psychologiques nous permettent de mieux saisir son mécanisme et les raisons de son importance, l’étude du rôle qu’elle a joué nous laissera pénétrer un peu plus avant dans la nature de l’homme et nous en fera reconnaître avec plus de précision les faiblesses et la grandeur.


I

Le jeu de mots est « naturel » à l’esprit humain. Je veux dire qu’il est un produit normal de l’exercice de nos facultés, ou mieux encore que, si l’on oppose, comme on le fait assez souvent, ce qui est « naturel » à ce qui est plus proprement « humain » ou « raisonnable », — et ce n’est pas le lieu de montrer le fort et le faible de cette habitude, — le jeu de mois est surtout fréquent dans le cas où l’esprit est laissé à lui-même, sans direction