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« la léthargie ». Haugwitz lui adressa, le 3 août, une longue note déclinatoire, que l’on croirait écrite au lendemain de la paix d’Amiens : « La Prusse a consenti l’abandon de la rive gauche du Rhin, de Mayence, boulevard de l’Allemagne ; la France a doublé sa force offensive en prenant la Belgique, et maintenant elle veut davantage : les têtes de pont sur la rive droite, devant Mayence, devant Coblentz, le moyen d’inonder l’Allemagne de ses troupes ; comment ne se point inquiéter « si, au milieu de tant d’avantages, la France, étendant ses demandes à mesure qu’elle en obtient l’objet, passe la ligne qu’elle-même avait indiquée comme tracée par la nature pour former ses frontières ?… » Sieyès se montra plus pressant ; alors Haugwitz s’anima et découvrit le fond de sa pensée : « Cela change tant ! » dit-il en parlant de la France et de ses gouvernemens ; la réaction peut se faire en France même, dans les pays qu’elle a envahis, et d’un instant à l’autre. « Le plus sûr est de ne pas s’exposer, dans le cas d’une contre-révolution, à attirer sur soi la vengeance des autres gouvernemens et de la France elle-même ; dans ce cas, le danger est immense. » Et cet autre danger non moins redoutable : « Où la France s’arrêtera-t-elle ? Est-ce qu’elle veut commander partout ? La Suisse, l’Italie !… et toutes les républiques qui veulent révolutionner à leur tour ! » … « Nous ne souffrirons pas que la France se conduise à notre égard comme elle a fait partout où on l’a écoutée… en Suisse, en Italie. » Le Directoire le prend de haut, poursuit le ministre prussien ; qu’il y réfléchisse : si la France a des amis en Prusse, la Prusse a un parti en France. « Si la République est rassurée contre nous, le roi ne l’est pas moins contre elle. Les officiers français, la nation tout entière est pour la Prusse ; il ne dépendrait pas du Directoire exécutif lui-même, d’ailleurs si changeant, de nous déclarer la guerre. »

« Je vous déclare, écrivit Sieyès, le 25 août, que si je propose l’alliance nettement, catégoriquement, j’aurai une réponse négative, et ce sera pour la quatrième fois que la République sera refusée. La Prusse restera couchée mollement dans sa neutralité jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que vous agissez pour vous passer d’elle… » Il suggère l’idée de répandre des émissaires dans l’Allemagne du Sud, de se faire un parti dans les peuples, de gagner les gouvernemens des États secondaires. « C’est notre rôle de les soutenir, de les protéger. Et surtout de leur révéler leur force et leur puissance en les unissant par un lien fédéral