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France, de la Prusse, de l’Espagne, des républiques batave et helvétique, des républiques d’Italie, des rois de Suède et de Danemark, et d’une grande partie des membres les plus influens du corps germanique. Voyez les conséquences et calculez les résultats : à la fois l’agrandissement de la Prusse et la paix du continent. L’une ne sera point troublée par l’autre. Le principe des sécularisations est reconnu. Avec son secours et par des échanges habilement combinés, la Prusse peut transporter sa puissance à l’est et au nord de l’Allemagne, en s’éloignant de nos frontières et en se rapprochant de la Pologne, destinée peut-être à reformer un jour un corps de nation sous la domination prussienne. » Si vous ôtez cet appât de la Pologne, qui est fort hypothétique, si vous ajoutez la domination de l’Italie par la France qui est, au moins autant que la réforme de l’Allemagne, l’objet du dessein, vous avez la combinaison que Napoléon conçut en 1805, et vous croyez entendre les discours qu’il fit, cette année-là, tenir à Berlin. Mais la Prusse, qui n’y voulut point croire de la part du puissant empereur, n’y vit, en 1798, qu’un piège tendu par le Directoire.

Le nouveau roi, Frédéric-Guillaume III, jeune, intimidé, indécis, sauvage, jaloux des apparences du pouvoir et des apparences de la volonté ; prétendant gouverner seul, par lui-même ; laborieux, mais redoutant trop de paraître conduit pour profiter de l’expérience et des avis de conseillers indépendans ; marié à une princesse charmante, chevaleresque, exaltée, fière de sa couronne, tendre dans l’intimité ; tous les deux humains et « sensibles », pieux, émus par la « religiosité » du bien public, plutôt qu’éclairés par la raison d’État ; sentant la nécessité de réformes profondes, mais méfians des réformateurs ; discernant, en partie, le mal des affaires, mais froissés, comme d’une sorte de lèse-majesté d’amour-propre, quand on le leur signalait, quand surtout on prétendait leur en prescrire le remède ; pressentant une crise dans le gouvernement sans en comprendre les causes et en concevoir la direction : un Louis XVI et une Marie-Antoinette, disait-on tout bas, autour d’eux, avec un mélange de sympathie et d’anxiété.

Le roi avait reçu pour mot d’ordre de son père mourant : la neutralité, et pour ministre, Haugwitz, l’homme de cette politique. Peu d’histoires se sont plus constamment répétées que celle de ces négociations d’alliance entre la France et la Prusse, qui