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d’appeler « la petite », respire en plus d’un passage le même souffle de rude enjouement et d’humour terrible. Humorous symphony, dit M. Grove. Pour l’entendre ainsi, dès le premier morceau, gardons-nous de nous laisser prendre uniquement à la grâce facile du thème exposé d’abord à découvert. Attendons la seconde reprise ; là, dans le développement, dans la coda surtout, nous verrons ce que Beethoven, en veine d’ironie et de sarcasmes, sait faire d’un thème aimable d’abord et rien de plus ; avec quel acharnement, quelle furie, il le martèle, le pile et le broie ; quels coups tantôt il assène et tantôt il pousse, et comme il semble tour à tour s’indigner et se divertir. Quelle boutade encore que la fin de l’allegretto scherzando, de ce morceau dont Schopenhauer disait qu’il suffit de l’entendre pour oublier que ce monde n’est que misère ! Est-il possible de tourner plus court, de conclure avec moins de ménagemens et d’écraser avec plus de brutalité, comme sous le talon, une perle aussi rare ? Quant au finale, qui est la partie la plus importante de la symphonie, il en est aussi la plus violemment humoristique. Il abonde en saillies, en écarts, en interruptions outrageantes, en éclats de rire et de colère, qui font une telle symphonie aussi vraie, aussi ressemblante à la vie, qu’un drame de Shakspeare.

A la vie, et à la vie de Beethoven. Ces deux symphonies trahissent Beethoven lui-même, le Beethoven que nous avons essayé de définir et qui n’est plus le héros, mais l’homme, surpris dans son existence familière, avec ses habitudes et ses airs de chaque jour, moods and manners. Et cela est intéressant et cela est extraordinaire. Nos sentimens en effet ou nos passions supérieures, l’activité, l’énergie, le trouble même de nos plus hautes facultés morales ; l’amour, la joie ou la douleur, la lutte héroïque contre la destinée ou l’apaisement trouvé dans le contact de la nature, on conçoit aisément que tout cela puisse être l’occasion et la matière de chefs-d’œuvre : d’une symphonie en si bémol, d’une symphonie Pastorale, d’une symphonie en ut mineur. Il est plus étonnant que des traits de caractère, — et parfois de mauvais caractère, — des saillies d’humeur burlesque, triviale et presque grossière, aient servi de sujet à des chefs-d’œuvre égaux. Nous savons que Beethoven ayant reçu de son frère, qui venait d’acheter une propriété, une carte de visite ainsi rédigée : « Jean Beethoven, propriétaire d’un domaine », lui retourna aussitôt sa carte à lui avec ces mots : « Louis