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anglais a bien fait d’insister. Beaucoup moins une passion : héroïsme, amour ou joie, qu’une disposition habituelle, un trait de caractère et, comme dit à peu près M. Grove, des manières d’être ou des façons. Les façons de Beethoven étaient de celles que définit le mieux le mot humour, à la condition qu’on l’élève à la plus haute puissance, au dernier degré de l’expression. Un fond de jovialité brusque, une verve tourmentée et impétueuse ; une gaîté sans frein et sans égards, des saillies imprévues et de soudaines ruptures ; le goût immodéré des jeux de mots, des calembours, des facéties même ou des « charges » ; quelque chose enfin de trivial et de puissant, à la Shakspeare, dans le débordement et le débridement de la fantaisie, tout cela n’est pas moins Beethoven que la dignité morale, la pureté, la. tendresse, la maîtrise de soi et la patience sublime. Tout cela se rencontre dans sa vie, dans ses lettres, dans ses discours ; tout cela devait se rencontrer dans son œuvre, et c’est tout cela qui fait explosion dans certaines parties de la septième et de la huitième symphonie.

Déjà le premier allegro de la symphonie en la déconcerte quelquefois par la soudaineté des effets, par l’opposition de l’extrême force et de l’infinie douceur, par des cassures imprévues de tonalité, par l’opiniâtreté du rythme, qui, selon le mot de Wagner, célèbre ici ses orgies. Mais à ce point de vue nouveau, le finale surtout est extraordinaire. Là pour la première fois se fraie un libre cours, un cours torrentiel, l’humour d’un Beethoven déchaîné, comme disait Goethe, ou, comme disait Beethoven lui-même et plus familièrement, déboutonné. Rappelez-vous seulement le début de ce finale et, pour entrée de jeu — d’un jeu qui sera rude, — les deux formidables secousses. Puis le premier thème, « étrange, peu sympathique et déjà furieux » ; le second, aigu, hérissé et qui blesse ; enfin le working-out, cet accès de gaîté sauvage qui fait penser à je ne sais quels transports de colosse en belle humeur. C’est à nos dépens que le géant s’amuse. En tout ce finale règne un parti pris, une manie, une rage de contrarier et de contredire, de choquer et presque de faire peur. Rien dans la musique ne ressemble plus à la bouffonnerie, au grotesque de Shakspeare que tel ou tel trait de ce finale : le hurlement des dissonances, l’écrasement implacable du temps faible et jusqu’à l’atrocité de certaines sixtes, brutales comme des injures ou des coups de poing.

La huitième symphonie (en fa), celle qu’on a souvent le tort