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Maintenant que du deuil qui m’a fait l’âme obscure
Je sors pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m’entre dans le cœur.

Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Ému par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon...


Tout cela, Beethoven l’a pu tout de suite, et sortant à peine, en quelque sorte, de la symphonie en ut mineur, frémissant et chaud encore de la terrible étreinte, il s’est assis, comme le poète, pour écrire la Scène au bord du ruisseau.

Rappelez-vous les mélodies de la symphonie en ut mineur, ces mélodies âpres ou triomphales, et songez que le premier thème de la Pastorale, ce motif engageant et qui sourit, leur a succédé immédiatement. « Quel état, et quel état ! » Musicien romantique, a-t-on parfois appelé Beethoven. En vérité, il est bien autre chose, et il est bien davantage. Le voilà devant la nature, sans colère et sans orgueil. Comme tant d’autres il aurait eu le droit de l’accuser, de ne la regarder du moins qu’à travers ses larmes et de l’en voir obscurcie et voilée. Mais non content de ne la point maudire, il ne l’a même pas attestée. Ne croyant pas qu’elle s’émût de sa souffrance, il ne l’y a pas mêlée. Toujours il est venu, revenu à elle avec la simple confiance et, selon ses propres paroles, « avec la joie délicieuse d’un enfant ». Elle aurait eu beau lui dire : « Mon printemps ne sent pas vos adorations », que toujours au printemps ses adorations fussent restées fidèles. Un des plus nobles traits de la symphonie Pastorale est dans ce désintéressement et cet oubli de soi. Elle pouvait être un blasphème ; elle est un cantique et une prière. Simples et doux, les grands cœurs sont ainsi. La douleur ne les fait point ennemis des choses ; tout en les trouvant insensibles, ils leur pardonnent, que dis-je, ils leur savent gré d’être belles et ne se défendent point de les bénir et de les aimer.

Après la symphonie Pastorale, il semble que Beethoven soit rentré plus profondément que jamais en lui-même. Il n’en sortit qu’au bout de quatre années (1812). Alors, en moins de six mois, deux symphonies, la septième (en la) puis la huitième en fa), vinrent mettre pour la première fois dans un jour éclatant un aspect de la nature de Beethoven, sur lequel le commentateur