Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/829

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heureux comme un Beethoven peut l’être : d’une félicité supérieure, d’une béatitude à la fois passionnée et sereine ; heureux Par son désir sans mesure démesurément satisfait, heureux de toute son âme insatiable et cette fois pourtant rassasiée. Si maintenant, de ce bonheur en quelque sorte impersonnel et comme errant on nous découvre la cause, l’objet, et je dirai presque la direction particulière ; s’il nous est révélé qu’elles allaient, ces mélodies sublimes, vers une créature aimée, une tête charmante, oh ! alors vous devinez — et vous l’éprouverez après avoir lu M, Grove — tout ce qu’à notre émotion, à notre admiration même, une telle découverte peut ajouter désormais,

A la symphonie Héroïque, à la symphonie d’amour, succéda la symphonie en ut mineur, celle qu’on pourrait nommer, par excellence, la symphonie. Celle-là est le nœud, le centre et le sommet, Beethoven n’y est pas seulement tout entier : il y est pour ainsi dire au comble et au paroxysme. Elle est le plus rude combat et la victoire la plus complète ; plus que toute autre elle est mélancolie et méditation, action et allégresse ; elle est l’angoisse, le trouble, la douleur enfin, et elle est la volonté plus forte que la douleur. Militante, souffrante, triomphante, elle offre au plus haut degré les trois signes de toute vie ; elle comprend en son évolution les trois périodes de toute destinée. Représentation totale et synthèse de Beethoven intime, il reste pourtant quelque chose de lui que le chef-d’œuvre de ses chefs-d’œuvre n’exprime pas : ce sont les rapports de Beethoven avec le monde extérieur. De ces rapports l’œuvre entière du maître ne fournit qu’un témoignage : la symphonie Pastorale.

Ces rapports furent étroits et ils. furent constans, Beethoven aima toujours la nature et il aima tout en elle. Une fleur, un nuage suffisait pour le ravir. Le vent, la pluie même ne l’incommodait guère ; il s’y exposait volontiers. Surtout il avait pour les arbres une singulière tendresse. Au moment de prendre possession d’un logis qu’on avait arrêté pour lui, il interpella brusquement le propriétaire : « Eh bien ! et vos arbres ? — Nous n’en avons pas, — Alors votre maison n’est pas mon affaire. J’aime mieux un arbre qu’un homme. » Il estimait que « les arbres, les rochers donnent la réponse que l’homme demande. » Pour lui « tout arbre semblait dire : Saint ! Saint ! Saint ! » Tous les étés il cherchait un asile aux environs de Vienne, dans les vallons boisés de Hetzendorf, de Heiligenstadt, de Döbling, de Mödling