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pour elle notre admiration et notre sympathie. On a quelquefois prétendu que le génie de Beethoven n’avait d’autre sujet, ou d’autre aliment que la souffrance. Cela n’est pas plus vrai de Beethoven que de Shakspeare. Autant que des âmes de douleur, l’un et l’autre ont été des âmes de joie. La quatrième symphonie, comme la seconde, est une symphonie heureuse. Mais elle est quelque chose de plus particulier et de plus intéressant : elle est la symphonie d’amour.

Primitivement ce fut la symphonie en ut mineur qui dut succéder à l’Héroïque. Beethoven en écrivit en 1805 es deux premiers morceaux, qui sont aussi des pages d’amour, d’un amour orageux et tourmenté. Mais, en 1806, un engagement réciproque parut assurer pour jamais cet amour. Beethoven abandonne alors la composition de la symphonie en ut mineur, et de son grand cœur en fête jaillit l’éclatante symphonie en si bémol, dont l’adagio céleste est le cantique de l’amour heureux.

Amour heureux d’un trop court bonheur, amour pur entre les pures amours de Beethoven, et qui fut pendant quatre ans la source de son génie et la consolation de sa souffrance. Hélas ! que ne put-il être le refuge et le salut de toute sa vie ! La très noble et très fière héroïne de cet amour fut la comtesse Thérèse de Brunswick, celle que Beethoven a nommée et que la postérité nommera toujours « l’immortelle bien-aimée ». Après la mort de Beethoven, on trouva dans ses papiers trois lettres portant cette suscription, sans autre indication de temps ou de lieu que la date des 6 et 7 juillet. Un portrait de femme y était joint, avec une dédicace : « Au rare génie — au grand artiste — à l’homme excellent, » et une signature : T. B. On sait maintenant que le portrait était celui de la comtesse Thérèse et qu’à la comtesse Thérèse les trois lettres furent adressées. Beethoven les lui écrivit de Füred, une petite ville d’eaux de Hongrie. Il y était allé en quittant Martonvasar, le domaine héréditaire de ses amis de Brunswick, où il venait de passer quelque temps, comme il en avait l’habitude, et de se fiancer en secret avec la jeune fille. C’était en 1806, l’année même où fut composée la symphonie en si bémol.

Sous ce titre : L’immortelle bien-aimée de Beethoven, une amie, presque une fille adoptive de la comtesse Thérèse, a retracé d’après ses propres souvenirs l’exquise figure de femme, inséparable de certains chefs-d’œuvre du maître et, entre