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victoire de Beethoven est ici. D’autres, plus tragiques et cruelles, coûteront plus de larmes et de sang ; elles n’auront plus cette alacrité, cette grâce et ce brillant de la jeunesse en fleur. La symphonie en ut mineur, ce sera le suprême et terrible triomphe, quelque chose comme Eylau sous le ciel sombre et sur la neige rougie. La symphonie Héroïque, c’est la campagne d’Italie, au grand soleil et dans les plaines blondes ; c’est le rayon printanier et le premier sourire de la gloire.

Comparez le commencement de l’Héroïque avec celui de l’ut mineur. Rien qu’à la différence des deux attaques, on sent déjà que l’une et l’autre lutte seront inégalement acharnées et meurtrières. Le début de l’Héroïque est une exposition ; c’est une explosion que le début de l’ut mineur. Dans l’une la force s’affirme et se définit avant de s’exercer ; dans l’autre, sans préparation et sous la brutalité du premier choc, tout est ébranlé. Rythmique avec carrure, mais sans violence, le thème de l’Héroïque est tonal et fondé sur les notes de l’accord parfait. Des accords dissonans. un rythme haché, font l’âpre beauté du premier morceau de l’ut mineur. Dans le working-out de l’Héroïque, Beethoven livre de rudes combats. Il n’a jamais subi de plus furieux assauts que dans le working-out de l’ut mineur. C’est là qu’il souffre sans merci, qu’il lutte sans trêve, et sans même obtenir un de ces momens de grâce que dans la symphonie Héroïque lui laissait un moins implacable destin. Faut-il rappeler la coda du premier allegro de l’Héroïque, la péroraison éblouissante, et les traits ailés escortant, devançant de leur vol le retour du thème vainqueur ? Le finale, jusqu’à l’apothéose suprême, garde le même caractère et le même ressort juvénile. Ici plus que partout ailleurs les thèmes de triomphe ont quelque chose de svelte et de dégagé. Victoire encore une fois, mais première victoire, et comme d’un héros adolescent. Déjà pourtant la maîtrise est parfaite. Le Beethoven de la troisième symphonie est en pleine possession et de son art et de son âme. Chef-d’œuvre esthétique et moral, triple et trois fois sublime représentation d’une intelligence, d’une sensibilité et d’une volonté supérieures, la symphonie Héroïque est moins grandiose que la symphonie en ut mineur ; elle n’est pas moins belle, et si Beethoven n’y est pas encore à sa dernière puissance, il y est du moins tout entier.

Entre l’Héroïque et l’ut mineur, la quatrième symphonie (en si bémol) passe trop souvent inaperçue. M. Grove avec justice revendique