Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/821

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cachée. La seconde symphonie, en , n’est qu’un héroïque mensonge, un mensonge joyeux, car elle est une œuvre de joie née en des heures de souffrance. C’était à la fin de l’année 1802. Beethoven venait de passer l’été et l’automne aux environs de Vienne, en ce vallon de Heiligenstadt qu’il aimait. Là, dans un accès de désespoir, il avait écrit à ses frères la lettre connue sous le nom de « Testament de Heiligenstadt » et qui est le plus déchirant des aveux, des adieux et des appels. Aveu de misère physique et d’infirmité, de cette surdité dont à trente-deux ans Beethoven endurait, depuis six années déjà, l’atroce et presque humiliante ironie. Appel, ardente adjuration aux hommes, qui la méconnaissent, et à Dieu, qui la connaît seul, d’une âme naturellement inclinée à la bienveillance et avide d’amour, enfermée par la honte d’un mal qu’il faut cacher, dans la solitude et la pudeur farouche. Adieu enfin à toutes les illusions et à tous les rêves, à toute douceur de la vie fraternelle et du commerce humain. « Comme les feuilles d’automne tombent et se flétrissent, telles se sont flétries mes espérances. Comme je suis venu, je vais partir, et le sublime courage qui souvent m’inspira dans les jours brillans de l’été s’est évanoui... O Providence ! ne feras-tu pas qu’au moins un jour de joie soit mien, puisque depuis si longtemps le son de la joie véritable m’est devenu étranger ! » C’est Beethoven qui souligne ici le mot joie. A l’époque de la seconde symphonie il l’appelle, il l’espère encore, cette joie, dont le désir est si long à mourir en nous. Vingt ans plus tard, il y aura renoncé pour lui-même, et dans le finale de la symphonie avec chœurs, il ne la demandera plus que pour l’humanité.

La joie, qui dans ce cœur jeune et sombre n’habitait déjà plus, chante tout le long de la symphonie en , œuvre souriante de Beethoven malheureux.

La symphonie en ne renferme pas une seule mesure de désespoir. Elle respire la confiance et le contentement. Tout y est lumière : les trilles brillans de l’introduction, le thème du premier morceau et ses développemens faciles, sans contradiction ni combat. Le larghetto est beau de je ne sais quelle nonchalante beauté ; c’est un dialogue de voix pures échangeant de calmes paroles ; pas une de ces demandes n’est inquiète, pas une de ces réponses désolée. En nul andante de Beethoven, des formes plus souples ne s’inclinent sous des souffles plus indulgens ; en aucun autre plus de jours ne s’ouvrent sur un horizon plus serein. Le