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dans l’ancienne musique, et il était impossible que cela fût compris par les critiques d’alors, lesquels ne regardaient qu’aux notes et jugeaient seulement selon les règles des sons, au lieu de s’attacher à ce que les sons signifient. »

Admirable aussi d’obstination, le working-out de la huitième symphonie, qui s’achève dans une furie, une folie presque intolérable de redites et de redoublemens. Mais nul autre n’est égal au working-out de la symphonie avec chœurs. Beethoven ici brise en deux le thème fondamental, et de l’un et de l’autre débris il tire un ordre, un monde nouveau. D’une simple figure de quatre doubles croches, il fait une mélodie régulière et pour quelque temps autonome. Quant à l’arpège descendant et rude de l’accord parfait, sorte de chute ou d’écroulement de note en note qui forme le début même de la mélodie, c’est là qu’il faut regarder pour voir « comment le grand musicien-poète sait traiter un sujet avec son propre cœur. Assurément, dans la musique entière, il n’y a rien de plus noble que ce thème grandiose qui se laisse tomber par intervalles simples du haut de l’accord parfait jusqu’en bas, accompagné d’une seul pizzicato des basses... Et certain la bémol introduit par Beethoven ajoute ici comme une dernière touche extraordinairement pathétique. Sans exagération, et comme on l’a dit de certain demi-ton dans une ouverture de Haendel, ce la bémol vaut tout un monde. » Il faut suivre dans le texte de M. Grove, éclairé de citations nombreuses, le développement de ce motif de quatre doubles croches. Fugué, contrepointé doublement, les divers instrumens s’en emparent, l’abandonnent et le reprennent tour à tour. Tantôt Beethoven le traite comme un élément de pure logique, tantôt il lui communique une vie morale et une mélodieuse douceur. Jamais de moins de notes, mais plus longtemps poursuivies et plus ardemment aimées, l’insatiable génie n’a exigé ni obtenu davantage. Et de cet incomparable développement le critique anglais a finement saisi le caractère particulier. Au milieu de cette énergie et de cette passion, il signale des relâches, des rémissions qui surprennent et attendrissent. C’en est une, et des plus touchantes, que le la bémol indiqué plus haut, qui fait dévier le thème superbe du côté de la mélancolie et de la tendresse. « Au cours du working-out de ce premier morceau, tout auditeur sincère reconnaîtra je ne sais quelle hésitation et quel trouble qu’on ne sent point ailleurs. Certaines notes de flûtes ou de hautbois tremblent comme