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lâché à travers la seconde reprise, le basson grotesque et le trio raclé avec une sorte de fureur. Que sont devenus les menuets d’autrefois, et, sur les parquets luisans. les pas comptés et les démarches légères ! Nunc pede libero pulsanda tellus. Pour le rude Flamand qu’était Beethoven, d’origine sinon de naissance, pour le compatriote et l’égal de Rubens et de Téniers, la danse est autre chose qu’un plaisir et presque un cérémonial mondain : elle est le mouvement instinctif et joyeux, l’ébat naturel de l’animal humain bondissant dans sa force et dans sa liberté.

Le plus considérable des scherzos de Beethoven est celui de la neuvième symphonie, celui qu’on a défini avec justesse « un miracle de répétition sans monotonie », celui dont Rossini disait en souriant, après la première audition de la symphonie avec chœurs au Conservatoire : « Je ne connais rien de plus beau. Moi-même je n’en ferais peut-être pas autant. » Mais le plus extraordinaire de tous est le scherzo de la symphonie en ut mineur. Il a d’abord ceci de particulier, qu’il s’enchaîne avec le finale et qu’au milieu du finale il revient encore. Mais ce ne sont là que des particularités extérieures. La nouveauté véritable est plus au fond, dans le sentiment et l’âme même du prodigieux chef-d’œuvre. Un scherzo (le nom l’indique) est en général quelque chose d’animé et d’allègre. C’est ici quelque chose de sombre : d’abord un appel mystérieux et lié par les archets lourds ; puis une triple réplique et comme un rauque aboiement des cors. À ces pressentimens et à ces menaces, le trio répond par un accès de formidable gaîté, par un éclat de rire de géant. Mais après la colossale ironie, revient, remonte encore l’obscure tristesse. Elle a seulement changé d’accent : au legato succède le staccato, le pizzicato, toutes les accentuations légères. Les cors cèdent la place aux clarinettes, aux hautbois, aux violons plus agiles. Les notes se détachent, crépitent et grésillent. Plus rien de soutenu, presque plus rien de sonore. Tout décroît, s’amincit jusqu’à n’être plus qu’un souffle, mais un souffle d’épouvante ; et jamais moins de bruit n’a fait plus peur. Au bout de soixante-dix mesures dans le ton d’ut mineur, les basses inopinément donnent un la bémol ; les timbales établissent une pédale d’ut au rythme irrégulier, et « par ce changement brusque, aussi grandiose au moins que le début de l’orage dans la symphonie Pastorale, commence la transition miraculeuse du scherzo au finale. » Peu à peu les élémens désagrégés se cherchent et se réunissent. Toute force et toute vie