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d’une vie heureuse et d’une sereine pensée ; elles qui creusent le plus avant l’abîme mystérieux du rêve et l’abîme aussi d’une âme, la plus profonde peut-être d’où jamais se soit exhalé un soupir.

Autant que de sonorités, Beethoven est un grand créateur d’harmonies. Tout élément symphonique s’est accru par lui. Par lui les rapports se sont multipliés non seulement entre les instrumens, mais entre les notes elles-mêmes. A ce double point de vue, — et naguère nous avons tenté de le montrer[1] — la symphonie de Beethoven est beaucoup plus largement sociologique ou sociale que celle de Haydn et même de Mozart. La société des sons, celle des accords et celle des timbres, est chez Beethoven une société fort complexe et pour ainsi dire avancée, où des relations très nombreuses, très délicates souvent, sont réglées par des lois en même temps infaillibles et libérales. A qui donc une symphonie de Beethoven, après une symphonie de Haydn ou de Mozart, n’apporterait-elle pas le témoignage immédiat, éclatant, d’une harmonie autant que d’une orchestration enrichie et renouvelée ? Quels accords, pour ne parler que des plus simples, avaient jamais retenti non seulement dans leur plénitude sonore, mais dans la totalité de leur constitution et de leur être harmonique, comme certains accords de Beethoven : les deux premiers accords de la symphonie Héroïque, les accords hachés ou plutôt sabrés à grands coups d’archet de la symphonie en ut mineur ou de la symphonie en la, les accords à plein orchestre du début du finale de la symphonie en ut mineur ? Il n’est pas jusqu’aux premiers accords de la première symphonie qui ne firent dans leur nouveauté sensation et même scandale. La critique n’admit pas tout d’abord qu’une symphonie soi-disant en ut osât commencer par un accord dissonant du ton de fa. D’autres « fautes » du même genre, toujours contre l’harmonie, ne furent pas seulement blâmées : on les corrigea. M. Grove a rappelé, après Berlioz, comment Fétis modifiait l’harmonie de Beethoven. Dans l’andante de la symphonie en ut mineur, lors de la variation en triples croches des altos et violoncelles, au-dessus de l’accord de sixte : fa — si bémol — ré bémol, il arrive que les instrumens à vent tiennent un mi bémol d’un effet original et délicieux ; Fétis bravement le remplaça par

  1. Voir, dans la Revue du 1er mai 1890 : la Musique au point île vue sociologique.