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que des rapports très simples, essentiels, toujours les plus logiques et les mieux fondés sur la nature des timbres. L’orchestre de Beethoven est plein sans être massif ; l’abondance et la variété des détails n’y couvre jamais le plan général et le grand parti pris. Mais au sein de cette hiérarchie et de cet organisme, Beethoven suscite et crée parfois des personnalités nouvelles. Il donne à certains instrumens un emploi dont jamais ceux-ci n’avaient paru capables ou dignes. Le cor prend dans Beethoven un accent et une couleur inconnus. Il n’est plus seulement le cor dont le son « est triste au fond des bois » ; il s’élève au-dessus de sa spécialité forestière ou chasseresse ; il devient une voix plus profonde et tout intérieure. Ce n’est pas une chasse qu’il sonne dans le grave trio de la symphonie en la. Un mystère, mais un mystère de l’âme, est en lui quand il plane pendant seize mesures de rêve sur l’adagio de la neuvième symphonie. C’est à lui enfin qu’appartient presque tout entier le trio de la symphonie Héroïque. Là surtout l’instrument a pris une voix humaine, la voix de la chair et du sang. Les dernières mesures en particulier sont d’une poésie étrange, et Beethoven n’a rien de plus sérieux, de plus profond que cette tenue de cors, où il a su véritablement faire entrer quelque chose d’étrange, quelque chose de l’infini et de l’éternité.

Beethoven donne l’expression, que dis-je, l’éloquence, à des instrumens encore plus rudimentaires et jusqu’aux timbales elles-mêmes. Dès l’andante de la première symphonie, il les accorde comme on n’avait pas fait encore ; il essaie leurs notes attentives et solennelles ; il les prédestine à leur fonction et à leur dignité future, et dans la quatrième symphonie en si bémol) il déploie leur magnificence sombre. Dans la seconde reprise du premier morceau, la merveilleuse rentrée du thème principal se prépare, se développe et se consomme sur un roulement de timbales tel que jamais on n’en avait entendu ; mais dans l’adagio surtout rayonne, presque divine, la beauté d’un dessin, ou d’une « figure » de timbales. Ici, pas même un roulement : un simple accent, un appui régulier de la dominante sur la tonique. Cet accent, lorsque les timbales l’empruntent aux autres instrumens, prend un caractère de gravité sans pareille. Çà et là, tandis que chante l’auguste mélodie, qui n’est, comme nous le verrons, qu’un cantique d’amour, les timbales interviennent ; c’est elles qui semblent rythmer de leurs pulsations puissantes le cours