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courbe sans pareille, une prodigieuse ligne de faite. Il en est qui se perdent dans le ciel. D’autres, plus humbles, s’abaissent et s’effacent entre leurs voisines plus illustres ; elles font comme des vallées heureuses entre les pics sublimes et frappés de la foudre. Non seulement elles sont, mais elles vivent, et chacune de sa propre vie. Il en est de riantes ; il en est de douloureuses inconsolablement. Plus d’une, elle aussi vierge et farouche, pourrait dire avec l’une des « Vierges aux rochers » du romancier-poète italien : « Je porte sur mon âme la splendeur des destins grandioses et tristes. » A toutes, riches de vie morale et d’héroïque volonté, siérait pour devise le noble adage du Vinci : « Il n’est pas de plus haute maîtrise que celle de soi-même[1]. » En vérité l’on devrait fêter l’anniversaire des jours où les neuf symphonies de Beethoven ont été jouées pour la première fois. En ces jours- là plus de lumière, plus de joie a été donné au monde ; plus de vie et d’âme s’est exprimé par les sons.

Aidés par un nouvel interprète, vous plaît-il d’interroger une fois encore les neuf sœurs éternellement éloquentes ? Si souvent qu’on les écoute, on n’a jamais fini de les entendre. Aujourd’hui, ce que nous tâcherons de suivre au travers et comme au courant des symphonies de Beethoven, ce sera d’abord la symphonie en soi, puis la vie et l’âme du maître, et ce sera enfin la musique elle-même.


I

La symphonie est le chef-d’œuvre de la musique. Tous les élémens musicaux, excepté la voix humaine, s’y trouvent réunis. Rien ne s’y rencontre qui soit autre chose que musical. Ainsi la symphonie est à peu près toute la musique et elle n’est que musique. Intellectuelles et sensibles, toutes les beautés de l’art sont rassemblées en elle. Elle est la volupté de l’oreille et la joie de l’esprit. Il n’y a pas un genre, pas un type musical qui n’aboutisse à la symphonie, comme les fleuves à la mer. De tous elle est la somme et l’épanouissement. A la fugue elle emprunte la logique et la raison ; elle en brise la contrainte, mais elle en garde la discipline et ne fait que changer la servitude aveugle en cette obéissance éclairée et volontaire à des lois supérieures, qui

  1. Non si puô aver maggior signoria che quella di se medesimo.