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Dates de composition et d’exécution, questions de temps et de lieu, mode et format de publication, dédicaces et prix de vente, hasards et caprices, erreurs et retours de l’opinion, tout est consigné, contrôlé dans ce complet répertoire ; pas un détail n’y fait défaut et tous les documens y font preuve. En un mot, l’érudit qu’est M. Grove n’ignore des symphonies de Beethoven rien de ce qu’on peut en savoir.

Tout ce qu’on en peut sentir aussi, l’artiste qu’est M. Grove l’éprouve et le communique. Il écrit ici non seulement de ce qu’il sait, mais de ce qu’il aime, et son livre, non moins qu’un manuel pratique, un scrupuleux inventaire, est une très profonde et très sympathique étude d’art ; par conséquent une étude d’âme aussi. D’une âme humaine d’abord, de l’une des plus grandes qui furent jamais. Puis c’est l’âme de la symphonie, de cet être complexe et vivant, que M. Grove analyse. C’est l’âme enfin de la musique elle-même, c’est la force et la valeur psychique des sons, prodigieusement accrue par le maître des neuf chefs-d’œuvre. Ainsi, technique avec abondance et sûreté, spécifique sans rien d’aride ou d’obscur, cette critique est quelque chose de plus. Psychologique et morale, à travers les formes et les apparences, derrière les moyens et les signes, elle atteint les réalités de la pensée et de la vie. Et ces réalités vivantes, M. Grove, qui les entend si bien, ne se contente pas de les entendre : il les aime et souhaite qu’elles soient aimées. « Que la connaissance de Dieu ne soit pas en nous une simple curiosité, ni une sèche méditation de ses perfections ; qu’elle tende à établir en nous son saint amour[1]. » Puisque Dieu veut être connu ainsi, n’est-ce pas un peu de même qu’il convient de connaître les chefs-d’œuvre entre les chefs-d’œuvre, ceux qui ont mérité d’être appelés divins !


Elles sont neuf, comme les Muses. Comme les Muses, elles forment un groupe immortel, un chœur sacré. Elles ne sont pas seulement le centre ou le sommet d’un art, mais l’un des sommets de l’art humain. On dit : les neuf symphonies, comme on dit : les Chambres de Raphaël, les drames de Skakspeare ou les campagnes de Napoléon. Elles forment un ensemble, une série organique de chefs-d’œuvre. Elles se touchent et se tiennent ; elles se communiquent et ne se commandent pas. Elles décrivent une

  1. Bossuet.