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LES LUTTES ENTRE L’ÉGLISE ET L’ÉTAT.

institution ou d’une doctrine était de n’avoir pas encore été. Par cela seul que l’Église était la plus ancienne et la plus vaste des traditions, elle était la plus suspecte des autorités : et ce qui aurait dû faire sa force devenait sa faiblesse.

De plus, l’Église prononçait le mot le plus odieux alors, le mot de soumission. Elle parlait de lois nécessaires, et paraissait tendre un joug à la raison au moment où la raison, pour n’avoir pas été assez libre, croyait ne pouvoir jamais l’être trop. La révolution disait le mot émancipateur que la passion publique voulait entendre, et les passions sont comme les souverains : celui qui leur paraît les mieux servir est celui qui les flatte le plus.

Enfin le christianisme même de la France la rendait moins sensible aux inquiétudes de l’Église. Il avait formé la conscience nationale : ceux mêmes qui ne croyaient plus à ses dogmes demeuraient pénétrés de sa civilisation : par suite, les premières lois qui, même sans le concours de l’Église, fixèrent, au nom de la société nouvelle, les droits et les devoirs de l’homme, s’écartaient peu des principes tenus pour essentiels par l’Église ? Les Français ne s’avisèrent pas que leur sagesse était peut-être une mémoire encore docile aux leçons du pouvoir religieux : ils ne démêlaient plus ce qui était à lui et à eux dans leurs propres pensées. C’est pourquoi ils croyaient avoir voulu par le libre choix de leur intelligence les institutions que l’Église prétendait imposer à l’intelligence ; et l’Église leur semblait, par suite, avide de garanties superflues. D’ailleurs, s’ils s’émancipaient de son autorité politique, ils ne songeaient pas, pour la plupart, à détruire son influence religieuse. La vieille tutrice resterait au foyer, respectée toujours, écoutée parfois, garderait la force de la prière, qu’il lui faudrait désormais, pour être exaucée, adresser non plus seulement à Dieu, mais aux hommes. Et pour eux ces difficultés de paix n’étaient pas des désirs de guerre.

Mais la guerre était dans les vœux ardens d’une minorité. Cette minorité assemblait contre l’Église deux sortes d’ennemis. Les plus nombreux, tout comme la masse du pays, trouvaient bonne la civilisation que le christianisme leur avait préparée. Ils ne rêvaient pas de détruire la famille, moins encore le pouvoir, moins encore la propriété. Fils de Voltaire, disciples des philosophes, ils étaient, comme leurs maîtres, hardis de cupidités plus que de doctrines. Tout dans le vieux monde leur semblait à sa place, pourvu que la première leur appartînt. Or leur primauté, fondée sur l’in-