Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/754

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
748
REVUE DES DEUX MONDES.

instruire les nations, les plier à ce joug volontaire qui rend superflues les contraintes établies en faveur du droit, et vaines les violences tentées contre lui. Sa mission de vérité, son désir de rendre les hommes plus heureux en les rendant meilleurs ne lui permettent pas de reconnaître aux théories, aux institutions, aux mœurs qu’elle sait funestes le droit de solliciter l’intelligence et de surprendre le cœur des hommes. Et, comme les gouvernemens sont établis pour défendre la société contre les causes de dissolution, il appartient à ces pouvoirs de ne pas demeurer neutres entre la vérité et l’erreur, de respecter, de faire respecter les enseignemens que l’Église apporte au monde, de défendre, en la défendant, les vérités sociales qu’elle perpétue.


Tel est le désaccord entre la sagesse des philosophes et celle des théologiens. Il n’est pas vrai qu’il ait rangé en deux camps adverses l’Église et la liberté. La liberté, comme l’Église, a ses dévots, dont les scrupules dépassent parfois la mesure. De même que quelques-uns, par défiance de la faiblesse humaine, voudraient placer tout sous la tutelle religieuse, de même quelques autres, par crainte d’attenter à l’indépendance de la raison, laisseraient impunies les attaques les plus violentes de la déraison contre la paix publique, la morale, le bon sens. Mais ces exagérations contraires ne rompent pas l’équilibre où la masse des esprits plus stables et plus moyens se maintiennent. Sous les hommages enthousiastes des philosophes comme sous les défiances solennelles des théologiens, la liberté de l’individu se heurte partout à des bornes posées à peu près de même. Les libertés absolues que l’Église condamne en droit n’ont jamais en fait été consacrées par aucun régime. Les gouvernemens nés de la révolution n’ont pas cessé de restreindre, comme le demande l’Église, cette indépendance par des lois qui règlent les devoirs de l’homme, la vie de la famille et les droits de l’État. Voici la seule différence entre le droit nouveau et la doctrine chrétienne. L’Église, durant de longs siècles, avait, législateur universel, gouverné non seulement la religion, mais les intérêts terrestres, la hiérarchie de la société, la politique. De son propre aveu, elle n’a pas exercé toutes ces influences en vertu du même droit. Elle a réglé les intérêts temporels parce qu’elle avait, sur les peuples enfans, une supériorité d’intelligence humaine : elle a exercé une tutelle en gérant des affaires qui étaient leurs, mais