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LES LUTTES ENTRE L’ÉGLISE ET L’ÉTAT.

sans sortir du Concordat, trouvent à exploiter les unes contre les autres les clauses avantageuses pour elles de ce traité captieux.

Les changemens accomplis au début du siècle dans la condition de l’État et de l’Église n’ont donc pas supprimé leurs anciennes causes de conflit. Aucune de leurs vieilles armes n’a été enlevée aux ambitions du pouvoir et aux colères de l’impiété. En revanche, ces changemens les ont émoussées. Les temps sont passés où l’esprit d’examen, incapable de renoncer à la foi, suscitait les hérésies et les schismes, voulait accommoder la foi à ses convenances, et offrait aux princes pour intervenir dans ces querelles la complicité d’une passion générale. Ceux qui ne sont plus d’accord avec l’Église et qui jadis, pour n’en pas sortir, l’auraient troublée, voient ouvertes devant eux les larges portes de l’indifférence ; sans prétendre à transformer la foi, ils l’abandonnent, et l’affaiblissement de l’ardeur religieuse est devenu une cause de paix. L’État, plus indifférent que la nation, n’a pas, pour gouverner les affaires de dogme et de discipline, les titres jadis reconnus à la royauté très chrétienne. Il est sans prétexte pour régler une foi qu’il ne professe plus, et qu’il imposerait au sacerdoce seul, c’est-à-dire au seul pouvoir chargé de la définir et de la transmettre. Il n’a plus à espérer en la faiblesse partiale qui tenait l’Église gallicane si attachée au roi et si défiante du pape. Les incrédules tentés de se faire persécuteurs ne sauraient, comme au XVIIIe siècle, prétexter les scandales ou les révoltes du clergé. Soumis, pauvre et exemplaire de mœurs, il oblige au respect de ses vertus ceux mêmes qui nient ses doctrines. Enfin tout emploi de la force contre la raison et la conscience offense la générosité de la France nouvelle. Par suite, si, au XIXe siècle, les querelles léguées par le passé avaient seules menacé l’avenir, l’Église se serait trouvée plus forte de la solidarité établie entre les intérêts de son indépendance et les instincts de son temps.


III

Mais, alors que diminuait le danger des anciennes luttes, un autre grandissait, bien plus redoutable, et qu’on peut appeler le péril du siècle. Il a tourné contre l’Église les énergies mêmes du sentiment nouveau qui la devait défendre ; il est né d’un mot, mais d’un mot qui est toute une philosophie, toute une foi, tout un fanatisme.