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l’arbitre des deux autorités qui jusqu’alors gouvernaient le monde, finit par nier les droits de toutes deux et se déclara seule souveraine.


II

Cette souveraineté data son avènement de 1789. La Révolution française apportait une nouvelle idée de l’ordre dans l’humanité. Elle proclamait que la raison est une lumière donnée à chaque homme pour connaître le bien et le mal, diriger sa vie personnelle et coopérer à la vie sociale. Les conflits religieux allaient finir dans cette liberté. Chacun devenait maître d’accorder ou de refuser obéissance à l’autorité de l’Église. Chacun acquérait le droit de servir par ses actes et sa propagande sa foi ou son incrédulité. L’Église n’avait plus à espérer de privilèges ni à craindre de contraintes ; l’État n’avait plus à la garantir contre ses défaites ni à limiter ses victoires ; elle devait occuper dans la société la place, seulement la place, mais toute la place qu’elle obtiendrait dans les consciences.

Mais qui veut établir la liberté dans les peuples doit d’abord l’avoir fondée en soi-même, c’est-à-dire s’être soustrait à l’esclavage des habitudes, des préjugés et des haines. Or, c’est avec les vieilles passions qu’on tenta les nouveaux rapports entre l’Église et l’État. Beaucoup, parmi les hommes de 1789, cachaient sous leur philosophie une ardeur de revanche contre les respects, le silence, les détours imposés si longtemps à l’impiété ; d’autres, toujours légistes, oubliaient que les servitudes imposées, sous le nom de gallicanisme, à l’Église par l’État, avaient eu pour prétexte les privilèges accordés par l’État à l’Église, et après que leur intelligence avait répudié les privilèges, leur instinct retenait les servitudes ; d’autres, toujours jansénistes, gardaient la plaie envenimée des condamnations prononcées contre eux par Rome et aspiraient par représailles à détacher la France de la papauté. Et parce que leur vol vers l’avenir traînait les chaînes du passé, ils ne purent s’élever à leur propre principe, et ils imposèrent au clergé une « constitution civile ». Le vote était alors la source universelle de tous les pouvoirs politiques ; on décréta que le suffrage des fidèles nommerait aux cures et aux évêchés. C’était, après plus de trois siècles, le retour de la Pragmatique, d’une Pragmatique dégénérée. L’ancienne refusait au pape, mais ré-