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LES LUTTES ENTRE L’ÉGLISE ET L’ÉTAT.

l’apostolat et l’enseignement. La place se vide au profit de l’incrédulité que préparait ce régime. La politique employée contre les protestans, les jansénistes et les jésuites a proscrit la race de ceux qui, avec une intelligence diverse, mais une sollicitude commune des vérités religieuses, vivaient pour leur foi ; elle a amoindri en France le sens du divin. L’orthodoxie séculière qui, tour à tour ou tout ensemble, chasse des populations entières, traite en criminels les plus vénérables des hommes, supprime les bulles du pape, brûle les mandemens des évêques, oblige les curés à munir des sacremens catholiques les chrétiens en désaccord public avec le pape et avec l’Église, enfin se combat elle-même et met aux prises le roi et les légistes co-ailleurs des servitudes gallicanes, a fait à Dieu une face brutale et ridicule. Les gardiens de cette doctrine à la fois incertaine et impitoyable sont des magistrats ambitieux, vindicatifs, des ministres sceptiques, des souverains dont la vie est un long outrage à la morale chrétienne ; les choses sacrées deviennent l’accessoire des intérêts profanes, se subordonnent aux cabales des courtisans, et aux manèges des courtisanes ; la religion est gouvernée par tous les vices humains. Les dépositaires des croyances immortelles, ceux qui devraient, avec le fouet du Christ, chasser les marchands du temple, sont eux-mêmes devenus marchands. Formée et déformée par les mains royales, l’Église de France garde des mérites, mais obscurs, et n’a plus d’éclatant que les abus d’un clergé où certains entrent sans vocation, s’élèvent sans vertus, représentent Dieu sans foi, occupés surtout à vivre en riches sur le bien des pauvres. Enfin le chef suprême est si dépendant des princes qu’il ne peut plus défendre contre eux le plus important des ordres, ses serviteurs les plus dévoués. Quelle leçon d’impiété quand, aux sommations iniques du pouvoir, l’Église se tait, et le pape consent !

L’illogisme du système éclatait à la fois en toutes ses inconséquences, en toutes ses cruautés, en toutes ses bassesses. La subordination de l’Église à l’État aboutissait à compromettre à la fois les deux puissances. Les seules affaires débattues sous les yeux de la nation avaient été, il est vrai, les affaires religieuses, mais dans ces luttes tous les pouvoirs de l’État s’étaient usés et avilis. L’esprit d’examen est plus facile à interdire qu’à limiter, surtout en France, patrie des audaces théoriques. Il enhardit peu à peu ses curiosités et son indépendance. Et l’opinion publique, devenue