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LES LUTTES ENTRE L’ÉGLISE ET L’ÉTAT.

daires le règne des croyances et des vertus essentielles ? Son magistère ne servait-il pas les intérêts même temporels des peuples ? Les sommes prélevées par elle sur les ressources des nations avaient doté, outre la charité et la science, les arts mêmes qui trouvaient dans l’idéal chrétien leurs aspirations les plus hautes, dans les souverains pontifes leurs protecteurs les plus constamment magnifiques, et dans Rome une patrie : les sommes que les rois avaient refusées à « l’avidité romaine », sous prétexte de ménager le patrimoine des peuples, disparaissaient dans le gouffre stérile des guerres et le luxe ruineux des cours. Les arbitrages du Saint-Siège entre les princes avaient apaisé ou prévenu des guerres, les dépositions prononcées contre des souverains n’avaient frappé que des rois incapables ou pervers, à peine quelques papes avaient-ils terni par quelques taches d’ambition, de violence, de perversité, la robe blanche où la pureté de leur ministère trouve un symbole : pour nombre de princes, la perversité, la violence, l’ambition étaient le vêtement tout entier. Permettre que ces princes jugeassent le droit des pontifes, c’était livrer le monde à la force des puissans, aux fourberies des habiles, aux crimes des scélérats ; c’était imposer silence au défenseur de la faiblesse, de la justice et de la paix : la papauté, en abandonnant ses prérogatives, eût déserté les droits de tous. Elle n’acceptait pas davantage les limites que les clergés nationaux tentaient d’apporter à son action. Elle se sentait le lien nécessaire des Églises ; elle voyait la difficulté de réunir les conciles généraux, la difficulté de les soustraire aux passions habituelles des assemblées, passions ici plus scandaleuses vu la qualité des personnes, et plus redoutables vu la matière des débats ; elle jugeait qu’organiser à l’aide de ces conciles une sorte de régime parlementaire dans l’Église serait, s’ils étaient rares, soumettre un travail trop vaste au jugement trop précipité d’assemblées sans expérience, et, s’ils étaient fréquens, sacrifier au règlement des affaires générales l’ordre de chaque diocèse et la fonction principale des évêques ; enfin elle se savait dépositaire d’une suprématie indéfectible qu’elle devait défendre.

Pour la défendre, il fallait lutter à la fois contre le gallicanisme des clercs et contre le gallicanisme des princes. L’alliance de l’un avec l’autre était le grand péril. Opposer une égale inflexibilité aux doctrines des Églises nationales et aux ambitions des gouvernemens politiques eût été resserrer leur coalition ; or le