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REVUE. — CHRONIQUE.

pel, de plus en plus virulent, traitait ses adversaires de « danseurs de corde » et de « dresseurs de pièges à paysans ». Les uns veulent prendre les paysans par la violence, les autres par la douceur, mais tous, au fond, tendent au même but. Au reste, Karl Marx, le prophète du parti, s’est prononcé sur la question, et nous devons reconnaître qu’il l’a fait avec autant de bon sens que de force. Il a prévu la conception des socialistes français et il l’a condamnée. « Ce régime de petits cultivateurs indépendans, dit-il, travaillant pour leur propre compte… n’est compatible qu’avec un état de la production et de la société éternellement borné. L’éterniser, ce serait décréter la médiocrité en tout : il doit être, il est anéanti. Le progrès fait disparaître le paysan, ce rempart de l’ancienne société. » Le paysan, voilà l’ennemi ! Sous la phraséologie dont quelques-uns enveloppent leurs sentimens, on sent, contre lui, le mépris et la haine, et parfois des cris de colère font explosion. « À qui est-il permis, écrit M. Jules Guesde, d’ignorer que les ruraux, les pagani, ou païens d’autrefois, ont toujours et partout été les derniers soutiens du passé contre le présent et surtout contre l’avenir ? Impossible d’indiquer un seul progrès accompli dans quelque ordre que ce soit qui ne l’ait été contre la masse paysanne, qu’il a fallu en quelque sorte violer pour l’amener à se laisser féconder. »

Nous empruntons toutes ces citations au discours de M. Deschanel : on ne saurait trop les reproduire. Mais la place nous manque pour étudier dans son ensemble des questions aussi vastes et aussi complexes ; nous ne pouvons que les indiquer superficiellement. Ce que nous avons voulu seulement relever dans la propagande de M. Jaurès et de ses amis, c’est la tentative la plus considérable qui ait été faite jusqu’à ce jour pour entraîner les paysans dans le mouvement socialiste. Cette propagande ne nous paraît pas sérieusement à craindre : il faut pourtant lutter contre elle par la parole, par la plume, et aussi par des améliorations apportées à la condition même des paysans. M. Deschanel a tracé très largement tout un programme de réformes à réaliser : le développement des syndicats agricoles y occupe la place principale. Le gouvernement a estimé que, dans les circonstances présentes, il convenait de faire pour la petite propriété rurale quelque chose d’immédiatement profitable et tangible, et il a proposé de dégrever le quart de l’impôt foncier sur les propriétés non bâties. C’est 25 millions environ supprimés de nos recettes. Une telle mesure soulève assurément des critiques au point de vue financier, et même économique ; mais peut-être était-elle politiquement nécessaire. Le gouvernement et la commission du budget ont varié sur la meilleure