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REVUE DRAMATIQUE.

l’égalité des sexes n’a rien à faire là dedans, et que rien n’y serait changé quand même Louise gagnerait sa vie en exerçant un métier (ce qui est sa marotte), quand elle serait couturière ou doctoresse, et électrice par-dessus le marché, et quand la loi civile reconnaîtrait exactement les mêmes droits aux deux époux.

Établissons le bilan des griefs respectifs de Louise et de Henri, Elle se plaint, nous l’avons vu, qu’il soit autoritaire, qu’il ait l’assurance dédaigneuse d’un polytechnicien, et qu’il la considère comme une inférieure. Mais il se plaint, lui, vous vous en souvenez, qu’elle soit indocile et ergoteuse ; qu’elle néglige son ménage et sa petite fille ; qu’elle refuse, dans cette association, qu’est le mariage, la part de travail qui lui revient naturellement ; enfin, qu’elle soit coquette avec les autres hommes, d’une coquetterie effrontée, outrageante. Lequel des deux est la victime ? il se console au dehors : mais, dès qu’elle le sait, elle prend un amant, et dans des conditions beaucoup plus vilaines qu’il n’avait pris, lui, une maîtresse. A. ce moment-là, il n’y a pas à dire, le plus lésé des deux, c’est le « suzerain », ce n’est pas la « vassale ».

Je n’ignore pas qu’il y a entre eux quelque chose de plus secret, qui ne pouvait être qu’indiqué sur le théâtre, et qui les sépare irrémédiablement. Mais là encore, dans l’incapacité où nous sommes d’en faire le partage exact, force nous est bien de supposer les griefs égaux. Elle déplore… comment dire ?… qu’il ne lui ait pas fait, comme époux, tout le plaisir qu’elle attendait : mais il se plaint, lui, qu’elle reste de bois sous ses caresses. À qui la faute ? Ce point nous échappe, n’échappe même aux deux intéressés. Mais j’ai le soupçon que, si les baisers de son mari étaient plus agréables à Louise, elle trouverait tout de suite la condition des femmes, et le code civil, et son mari lui-même, à peu près bien comme ils sont ; et que les vraies causes de sa révolte sont donc beaucoup plus humbles et infiniment moins philosophiques que celles qu’elle étale. Ce qui, au fond, exaspère cette prétendue « cérébrale », c’est un mauvais hasard physiologique, dont son mari souffre nécessairement autant qu’elle-même, et auquel, d’ailleurs, il ne serait peut-être pas impossible de remédier en partie par de l’application, de l’affection, de la tendresse. Il est étrange que la répugnance physique nous soit donnée comme incurable entre deux jeunes époux qui se sont, on nous le dit, beaucoup aimés et, par conséquent, désirés avant le mariage. Et enfin, dans le mariage même, il n’y a pas que le lit : il y a le berceau et le foyer. Tandis que Louise s’insurge contre le mari qui l’étreint mal à son gré, je songe à tant de pauvres filles que personne ne prendra jamais dans ses bras, bien ou mal ; et je me dis