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comment « l’exercice d’un droit » est-il subitement devenu « le mal » aux yeux de cette forte raisonneuse ? Oh ! qu’elle est femme, cette femme qui veut être un homme ! Et c’est très bien ainsi. Au fond, elle l’agace et il l’offense ; quoi qu’ils disent l’un et l’autre, ils sont ceux qui ne s’entendront jamais ; et cela encore est très bien vu. Cette pièce, souvent obscure, n’est du moins pas médiocre.

Au dernier acte, Henri revient de chez Mme Gerboy, et Louise revient de la garçonnière de Larcena. Elle dit à son mari : « C’est fait, j’ai un amant, et un amant ridicule. » Il la traite comme elle le mérite. Elle est profondément dégoûtée d’elle-même. Quant à lui, il s’est aperçu, comme cela, tout d’un coup, qu’il n’aimait plus Mme Gerboy. Peut-être vont-ils se réconcilier dans leur douleur commune et dans le repentir de leurs péchés. À vrai dire, nous souhaitons peu un pardon qui aurait tant à oublier, et que démentiraient à chaque heure de torturans et ignominieux souvenirs. Mais Louise demeure provocante et raisonneuse ; elle démontre, dans un discours en trois points, que, si « la Louise d’aujourd’hui n’est plus la Louise d’autrefois », c’est la faute d’Henri, uniquement sa faute. Elle conclut : « Nous sommes quittes. Et maintenant, pardonnons-nous, si vous voulez, et restons ensemble. Nous ne serons plus que deux associés, dont chacun vivra à sa guise. » Il refuse cet arrangement bâtard. « Alors, dit-elle, je m’en vais. »

Elle a raison. Mais M. Case a tort, à ce moment-là, de faire intervenir l’enfant. « Et votre fille ? demande Henri. — Ah ! c’est vrai, dit-elle. Pauvre petite !… Quel dommage, mon Dieu ! Mais quoi ! elle serait malheureuse entre nous deux ! » Et la mère prend la photographie de sa fille, et la baise en larmoyant. Elle s’en va tout de même. Seulement, elle est un peu plus odieuse en s’en allant : ce qui, je crois, n’était pas dans le dessein de l’auteur. Il ne fallait pas d’enfant ici.

Voilà le drame. Qu’est-ce qu’il prouve ? Je ne pose point cette question par mauvais vouloir ; c’est l’auteur qui nous oblige à la poser. S’il n’avait voulu que nous exposer un malentendu intellectuel, sentimental, et peut-être charnel, entre deux époux qui ont commencé par s’aimer, on verrait ce que vaut l’histoire, ce qu’elle contient d’émotion et de vérité. Mais, d’un bout à l’autre de la pièce, et déjà par le titre qui est sur l’affiche, M. Jules Case semble nous signifier que Louise Deschamps est la victime de son mari, et de la loi, et des mœurs publiques. C’est donc là, pour nous, « la chose à démontrer ». Or, c’est ce qu’il ne démontre pas du tout. Il apparaît constamment que, dans cette affaire, il y a deux malheureux, qu’Henri n’est pas moins la victime de Louise que Louise n’est la victime d’Henri ; que la question de