Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
703
REVUE DRAMATIQUE.

de Louise : Larcena et Maubret. Larcena est un fantoche de vaudeville qui se donne beaucoup de mal pour être plaisant. Depuis huit mois, tous les jours, de cinq à sept, il attend Louise dans sa garçonnière. Il calcule que cela fait deux cent quarante rendez-vous où elle a manqué : mais il ne se décourage pas ; avec ces détraquées on peut toujours espérer. Maubret est un fantoche plus grave. C’est « l’homme fort », l’homme qui connaît les femmes et qui « professe « sur elles. Il imagine ceci, de dire à Louise : « Votre mari a une maîtresse. Qui ? Ma délicatesse ne me permet pas de vous la nommer. Je suis un gaillard profond : je sais que, après cette révélation, vous prendrez un amant. Vos coquetteries sont d’ailleurs des promesses que vous devez tenir si vous êtes honnête. Vous prendrez d’abord Larcena ; mais Larcena n’est pas sérieux ; et, après lui, ce sera mon tour, car je suis riche. » Elle lui répond qu’il est un misérable, et il s’en va, très content de lui. — Entre, là-dessus, une amie de Louise, Mme Gerboy. Louise lui confie sa peine, lui demande conseil, et devine bientôt, aux réponses de la dame, qu’elle est la maîtresse d’Henri. La scène est « à effet ». Dans le fond, elle était facile, et l’on peut trouver que Mme Gerboy met beaucoup de bonne volonté à laisser percer son secret. Et c’est le deuxième acte.

Louise s’épanche alors dans le sein onctueux de sa belle-mère, qui est une bonne dame pieuse et douce. La belle-mère lui dit : « Je sais que vous êtes malheureuse ; eh bien, sacrifiez-vous, c’est le lot de la femme ; moi qui vous parle, j’ai été abandonnée par mon mari, j’ai connu la misère, j’ai élevé mes enfans comme j’ai pu. J’ai tout accepté ; et au bout de vingt ans, j’ai été récompensée du sacrifice de toute ma vie par un regard de mon époux moribond. Oh ! ce regard !… » Mais ce discours trop sublime ne fait qu’exaspérer Louise : « Vous êtes une sainte, ma mère ; mais moi, qui n’ai pas de religion, je suis pour l’égalité des sexes. Œil pour œil. Je suis une créature libre, j’ai droit au bonheur, etc. »

Suit une explication, confuse et vraie, avec le mari : « Vous ne m’aimez plus, dit-elle, puisque vous avez une maîtresse. Dès lors ma dignité m’interdit de me laisser nourrir par vous. Je vais travailler, donner des leçons de piano, ouvrir un atelier de modiste… » Il hausse les épaules. Elle reprend : « Je me sens, à l’heure qu’il est, capable d’infiniment de bien ou d’infiniment de mal. Renoncez à votre maîtresse et aimez-moi. — Trop tard. C’est vous qui n’avez pas voulu.

— Alors je reprends ma liberté tout entière. — Soit. » Et il se dirige vers la porte. « Où allez-vous ? — Je vais, dit-il, où l’on m’aime.

— Et moi, dit-elle, je vais au mal. » Ici nous ne comprenons plus rien :