Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
698
REVUE DES DEUX MONDES.

La vérité extérieure de ces personnages est soutenue d’une psychologie délicate, quelquefois profonde sous un air de nonchalance. J.-J. Weiss parlait avec raison de la « psychologie racinienne » de Ma Camarade. On cite toujours Marivaux à propos de Meilhac ; non à tort, Pepa, c’est, exactement, du Marivaux pittoresque — et abrégé, où l’auteur ne marque, dans les insensibles transitions d’un sentiment à un autre, que les étapes les plus significatives ; mais avec quelle sûreté ! Et enfin n’oublions pas cet admirable troisième acte de Froufrou, où chaque effort de la jeune femme pour ne pas tomber se tourne si naturellement contre elle, où sa faute est si clairement déterminée par sa situation, et sa situation par son caractère. La scène de Froufrou avec son mari, puis avec son père, puis avec sa sœur, comme cela s’enchaîne moralement et se développe, jusqu’à la fuite éperdue de la pauvre petite folle ! Le voilà, le théâtre néo-racinien, le « théâtre psychologique », dont quelques-uns ont fait mystère dans ces derniers temps. Il n’y a peut-être rien de plus « fort », comme on dit, dans notre théâtre, ni d’une force plus souple et moins étalée.

Maintenant je dois avouer que, très soucieux de la vérité des sentimens et des mœurs, le théâtre de Meilhac n’a rien des préoccupations sociales d’Augier et de Dumas fils, ni des scrupules convenables de chrétien homme du monde qui paraissent dans les comédies d’Octave Feuillet. S’il est moral, ce n’est que de la façon la moins expresse et la plus détournée. Il est profondément et presque universellement sceptique, ironique, irrévérencieux. J’ai fait une fois le compte des choses, les unes respectables, les autres moins, qui étaient gentiment tournées en dérision dans une seule des opérettes de Meilhac ; et j’ai trouvé qu’il y raillait, notamment, l’amour, la virginité, la poésie pastorale, la littérature romanesque, le donjuanisme, la royauté, les principes de 89, la croyance au libre arbitre, la science, et, finalement, la mort. — S’il aime, certes, la vertu, il ignore tout à fait quel en peut bien être le fondement. Dans Brevet supérieur, pièce manquée qui contient une scène de premier ordre, La Rochebardière, voulant amener Cécile à être sa maîtresse, lui explique que la femme ne vaut tout son prix que dans un cadre de richesse, qu’il lui faut des robes, des bijoux, toutes sortes de menues délicatesses autour d’elle, et que cela du reste n’exclut point l’amour, ni la sincérité, ni la bonté du cœur. Qu’y a-t-il donc, dans ce rêve, de vilain ou de désobligeant pour elle ? Qu’y a-t-il même de défendu ? Et Cécile, fille de Paris, avoue son trouble. » Oh ! dit-elle, c’est mal ce que vous faites là. Car les choses dont vous parlez, vous savez bien qu’au fond, je meurs