une imagination de poète. Les livrets des fameuses opérettes, la Belle Hélène, la Grande-Duchesse, Barbe-Bleue, la Périchole, sont délicieux, même en soi et sans musique. Ce sont des contes exquis, où tantôt l’ironie fine et tantôt la bouffonnerie débridée s’accompagnent de poésie sensuelle. Elles font songer aux Contes philosophiques de Voltaire, aux opéras-comiques de Favart et au théâtre de Musset ; et toutefois elles ne sauraient être que de Meilhac. Elles sont parmi les joyaux de notre littérature dramatique.
On connaît les personnages de ses comédies. Ils sont extrêmement vivans, et d’une vie qui nous est toute contemporaine et toute proche, Les femmes ont, parmi eux, la meilleure place. Nul peut-être n’a exprimé comme Meilhac leur mobilité, leurs caprices, leur nerfs, leur inconscience, et la grâce féminine, et le « je ne sais quoi » féminin. Il y a les petites courtisanes, quelquefois un peu actrices, et le « personnel » qui s’active autour d’elles : mères, tantes, manucures, domestiques de cercle ou de restaurant. Elles sont fort gentilles : rouées et naïves, fines et sottes, voraces, futiles, menteuses, — pas bien méchantes. Quelques-unes, comme la petite comédienne de Ma Cousine, ont même très bon cœur et sont charmantes tout à fait. À côté d’elles, ou même au milieu d’elles, il y a les femmes du monde et les « honnêtes femmes », agitées, inquiètes, curieuses, mais incapables de grandes passions, ignorantes d’elles-mêmes avec beaucoup d’esprit, généralement sauvées de la faute par l’habitude de la « blague » et le sentiment du ridicule. C’est Mme de Kergazon dans la Petite Marquise ; c’est la petite femme de Ma Camarade ; c’est Marceline dans Gotte, Henriette dans Décoré. Par-dessus elles, l’adorable Froufrou, la seule qui « achève » (et elle en meurt) ; Froufrou, la moins prétentieuse des « femmes nerveuses » du théâtre contemporain. Il y a même des jeunes filles, presque toutes très particulières d’allures et de situation : la petite Margot, fille honnête d’une femme galante ; Pepa, cet oiseau des lies ; « la Cigale » ; et je veux mettre à part Cécile Leguerrouic (Brevet supérieur), honnête fille, mais de Paris ; très « représentative », celle-là, et si vraie !
Et puis il y a les hommes : les sceptiques, les veules, les boulevardiers amorphes ; les naïfs et les emballés, très nombreux ; et les vieux marcheurs, les vieux messieurs amoureux et crédules : celui de la Boule, celui de Ma Camarade ; et combien d’autres ! Je ne sais plus leurs noms ; car j’écris ces notes sans consulter les textes, rien que sur mes souvenirs de naguère ou d’autrefois ; et je l’ai voulu ainsi, pour que mon impression d’ensemble eût plus de chance d’être juste.)