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sans ambition de satire sociale, et qui tout de suite parut neuf. Il ne ressemblait en aucune façon à celui de Scribe continué par Sardou, ni à celui d’Augier ou de Dumas fils ; mais il ne ressemblait pas non plus à celui de Labiche. Labiche gardait beaucoup du burlesque de Duvert et Lausanne, excluait à peu près la femme, ne sortait guère, quoi qu’on ait dit, de la farce. Meilhac, parti modestement du vaudeville, à ce qu’il semblait, inventa, presque du premier coup, une comédie moins tendue et moins apprêtée que celle de Dumas ou d’Augier, d’une composition moins artificieuse, d’un style moins livresque, une comédie plus familière, et même plus vraie en dépit des parties bouffonnes. On n’avait pas encore entendu, je pense, un dialogue de cette vérité, tour à tour ingénue et piquante.

C’était, dans le fond, un théâtre réaliste. — Si l’on met à part deux ou trois imbroglios (comme Tricoche et Cacoletl’action est toujours de la simplicité la plus unie. Meilhac se contente parfois de vieilles intrigues consacrées et classiques (l’Ingénue, — Brevet supérieur) ou de quelque antique conte bleu (la Cigale). Son moyen de sacrifier le moins possible à la convention, c’est de la confesser, en la raillant un peu. Il ne s’en fait jamais accroire. Dans Monsieur l’abbé, deux personnages se prennent un moment pour ce qu’ils ne sont pas ; sur quoi l’un des deux : « Dites donc, je crois bien que c’est un quiproquo. Mais il y a un moyen de sortir des quiproquos : chacun n’a qu’à dire ce qu’il est, c’est bien simple. » — Meilhac risque la pièce « mal faite » exprès, et même la « tranche de vie » (2e acte du Réveillon). En ce qui regarde le « milieu » matériel où il place ses bonshommes, il a le réalisme inventif et extrêmement pittoresque : je ne rappellerai que la loge du concierge des Variétés dans la Boule, le couloir de théâtre dans le Roi Candaule et le salon de la somnambule dans Ma Camarade. Il a des « mots de nature » tant qu’il veut et tant qu’on veut. Il est si sincère qu’il ne peut presque jamais venir à bout de ses dénouemens : tel Molière. Il a même, si on le souhaite, l’observation pessimiste et féroce. Il l’a moins souvent qu’on ne l’a dit : mais encore a-t-il su écrire le troisième acte de Gotte et le dernier acte du Mari de la Débutante. Il a fondé le théâtre antiscribiste. À bien des égards, il est le précurseur du « Théâtre-Libre » dans ce que le Théâtre-Libre eut parfois d’excellent.

Mais, n’étant pédant à aucun degré, il échappe à la morosité par la fantaisie… C’est devenu un lieu commun, de dire que la marque de Meilhac est un indéfinissable mélange de fantaisie et de vérité. Cela signifie que cet observateur très aigu a beaucoup d’imagination, et