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violens. La véritable philanthropie consiste à savoir quelquefois verser le sang, à écraser une minorité séditieuse, pour le plus grand profit de la majorité pacifique, qui obéit à la loi ; telle est ma profonde conviction, et c’est une des causes de ma disgrâce. »

L’année 1897 lui réservait une grande satisfaction : son jeune maître est venu à résipiscence, il semble s’être dégoûté de la politique de conciliation. Lorsqu’il prit en main les affaires, il y eut une trêve générale, un grand apaisement se fit dans les esprits ; tous les partis lui savaient gré de les avoir débarrassés de l’homme omnipotent qui les tenait sous une verge de fer, et ils cherchaient tous à se concilier ses bonnes grâces. M. de Bismarck le comparait alors à Pénélope assiégée par les prétendans. Il se flattait de les neutraliser les uns par les autres, de les conquérir à jamais par les séductions de sa parole facile, abondante et chaude, de les dominer par son ascendant personnel, et qu’ils seraient les instrumens dociles de ses idées particulières. Mais les trêves ne sont pas éternelles : il a rencontré des résistances, il a essuyé quelques échecs, et désespérant de plaire à tout le monde, il a pris la résolution de ne plaire qu’à lui-même. On lui reproche « de faire à tout propos acte de gouvernement, de vouloir tenir en lisière un peuple patient, il est vrai, mais chez lequel grandit de jour en jour le sentiment de son droit et de sa dignité. » Ainsi s’exprimait récemment à Wiesbaden le professeur Reinhold, dont le discours a été fort remarqué. Il ne craignait pas d’affirmer « qu’il se produit dans le pays une coalition de tous les mécontens, que presque tout le monde aujourd’hui fait partie de l’opposition. »

L’empereur Guillaume II a l’amour des expériences, des essais, autant que des voyages ; éprouve-t-il quelque mécompte, il ne s’obstine pas ; il n’a pas encore dit son dernier mot. À cette heure il essaie de la politique de combat, il est en querelle avec son double parlement ; faut-il s’étonner qu’il ait recherché l’assistance et les conseils du grand homme d’État qui n’a jamais redouté les conflits ? Comme gage de paix, il a sacrifié ceux de ses ministres qui étaient en mauvaise odeur à Friedrichsruhe, et déjà les faiseurs d’almanachs annoncent que M. de Bismarck redeviendra chancelier. C’est aller bien vite. Le prince de Bismarck a dit un jour qu’il ne faut jamais deux taureaux dans un troupeau ; Guillaume II en est aussi convaincu que lui.


G. Valbert.