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poléon ? Tyras le sait peut-être ; les chiens ont tant de flair ! Mais il est discret.

Quelqu’un qui avait eu l’occasion de converser avec le prince s’étonnait de la prodigieuse facilité avec laquelle il compose des variations sur un thème connu. Le livre de M. Penzler nous offre plus d’un exemple des variations exécutées par ce grand virtuose. Dans ses entretiens comme dans ses dictées aux journalistes, il est souvent revenu sur les rapports de l’Allemagne et de la Russie ; c’est un sujet qui lui tient au cœur. Il n’entend pas qu’on l’accuse d’avoir contribué par de mauvais procédés ou par des négligences volontaires au refroidissement d’une amitié traditionnelle, qui fut si profitable à son pays et dont il a retiré lui-même de si grands avantages.

On a prétendu qu’il n’avait pu pardonner au prince Gortschakof de s’être en 1875 ingéré dans ses affaires, d’avoir traversé la nouvelle entreprise qu’il méditait contre la France, que si en 1878, le congrès de Berlin obligea la Russie de renoncer aux bénéfices du traité de San-Stefano, il y fut pour quelque chose. Ce sont, selon lui, de pures calomnies, et quand il se défend, il attaque ; c’est sa méthode. En avril 1890, il disait à un journaliste de Saint-Pétersbourg, M. Lwow : « L’alliance russe me fut toujours chère ; c’est vous qui nous avez traités comme de vrais Prussaques, comme une vermine, et il est naturel que nos rapports s’en soient ressentis. Votre prince Gortschakof, qui dans sa grande vanité me considérait toujours comme son écolier, me voulut du bien tant que je ne fus que peu de chose ; mais il n’a pu me pardonner d’être devenu un assez grand personnage, et il a tout fait pour me nuire, même quand ma politique devait profitera la Russie. Je le dis sincèrement, j’avais un vif désir de marcher avec vous, la main dans la main, et au congrès de Berlin, j’ai été aussi Russe qu’un Allemand peut l’être. J’étais en vérité le simple secrétaire du comte Schouwalof. » Puis, dans un accès d’irritation nerveuse, faisant craquer sa pipe : « Pourquoi la Russie, reprit-il en français, m’a-t-elle retiré sa confiance et m’a-t-elle donné un coup de pied dans le derrière ? Pourquoi, en 1879, nous a-t-elle fait entendre des paroles de menace ? Pourquoi ai-je été en butte à des inculpations imméritées ? Demandez-le à vos diplomates ; ils savent de quoi je parle. »

Quelques mois plus tard, il tenait le même langage à un autre journaliste russe ; mais cette fois le ton était moins aigre, et il ne fit pas craquer sa pipe : « Pour vous prouver à quel point mon vieux Guillaume et moi étions bien disposés pour vous, sachez que durant toute la guerre russo-turque, nous suivions vos opérations avec autant de