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d’écus, vraiment la tâche est trop lourde. » Ainsi parlait cet ermite revenu des vanités de ce monde ; mais plus souvent il se plaignait avec amertume du vide profond qu’il ressentait, de la cruelle oisiveté à laquelle on le condamnait. Il déclarait que chaque matin, à son réveil, il lui paraissait étrange de n’avoir pas d’autre occupation urgente que celle de remonter sa montre, qu’à soixante-quinze ans il se sentait trop jeune, beaucoup trop jeune pour ne rien faire, que lorsqu’on a fait de la politique quarante années durant, il est impossible de faire autre chose, et que son seul passe-temps était d’y penser et d’en parler.

On aurait voulu cependant qu’il se résignât à n’y plus penser et à n’en parler jamais. C’était la prétention de ses adversaires, de ses ennemis, de tous ceux qu’il avait gênés, humiliés, molestés, et qui en le voyant tomber avaient dit : « Ouf ! » et plus encore de ses admirateurs, de ses courtisans d’autrefois, de ceux qui, ayant eu part à ses faveurs et ne pouvant plus rien espérer de cette grandeur déchue, tournaient leurs regards inquiets vers le soleil levant, en un mot, de ces amis honteux qu’on désoblige en les mettant dans la triste alternative de se déshonorer par leur ingratitude, ou de compromettre leur fortune par une dangereuse fidélité au malheur.

On désirait qu’il s’appliquât à se faire oublier, qu’il fit le mort, que cet homme qui avait gouverné l’Allemagne et l’Europe et mené si grand bruit dans le monde se comportât désormais comme un de ces enfans dociles et bien dressés, auxquels il en coûte peu de se tenir tranquilles, sans remuer leurs pieds et leur langue. On exigeait qu’il s’occupât uniquement de cultiver son jardin, d’engranger ses moissons, d’exploiter ses forêts, et que son plus doux délassement fût d’offrir des pêches à son chien Tyras, qui est, paraît-il, un végétarien convaincu. « Employez vos années de retraite, lui criaient ses ennemis, à racheter votre âme, à vous repentir de vos innombrables péchés dar » s le silence de la contrition. » « De grâce, songez à votre dignité, lui disaient sur un ton plus doux, par l’entremise d’une gazette saxonne, 868 amis honteux, sous couleur de s’intéresser à sa gloire. N’est-ce pas manquer à votre passé que de vous prêter à des interviews avec des journalistes étrangers, après avoir conduit les plus hardies entreprises de ce temps ? Étonnez-nous par votre abnégation, par votre renoncement ; ne ressemblez pas à ces acteurs qui ont longtemps joué les premiers rôles et ne peuvent se consoler de les voir jouer par d’autres. Prenez soin de votre mémoire ; que les peuples puissent dire : « Cet homme était de la race des Olympiens, et sa vie fut aussi harmonieuse