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Les années de retraite
du prince de Bismarck

Depuis le 20 mars 1890, depuis le jour fatal où il fut mis à la réforme, où, selon sa propre expression, « son maître lui a fendu l’oreille, » le prince de Bismarck a affecté, dans certaines circonstances exceptionnelles et surtout lorsqu’il avait affaire à des simples, de bénir la main qui l’avait frappé, l’heureux changement qui s’était fait dans sa vie, la douceur du loisir dont il jouissait. Il ne sentait plus peser sur ses épaules la lourde charge qu’il avait trop longtemps portée ; on l’avait rendu à lui-même, à la liberté : il s’appartenait, il pouvait enfin se reposer. « La politique, disait-il, est un dur métier, une occupation fort ingrate. C’est un art fondé sur des conjectures et qui est à la merci des accidens. Il s’agit de calculer des probabilités ; vous êtes tenu de deviner ce que fera vraisemblablement votre adversaire et de régler là-dessus vos combinaisons et vos plans. Si les choses marchent bien, vous récoltez des lauriers : si elles marchent mal, vous passez pour un imbécile ; elles ont bien marché en 1866 : elles auraient pu aller tout de travers. »

Il disait encore : « Faire de la grande politique, c’est à peu près la même chose que de faire la pluie et le beau temps. Il faut à cet effet prévoir longtemps d’avance les dispositions et les résolutions de tel important personnage qui vit très loin de vous ; avez-vous rencontré juste, il faut que les mesures que vous aurez prises soient exécutées au moment propice. Tant de soucis usent le corps et tuent le sommeil ; présider à la destinée de millions d’hommes et d’encore plus de millions