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MÉDECIN DE CAMPAGNE…

— Oui, j’y pense, mais je ne saurais pas faire autre chose !

— Eh bien ! mon vieux, tu manques rudement d’idées.

— Possible !… Mais je ne peux pas me changer.


Et cependant ce soir, il lui en fallait, des idées !

« Voyons, tout d’abord, se dit-il, additionnons tout mon passif. » Alors il prit un crayon. D’abord ses vieilles dettes d’étudiant : 3 000 francs à son restaurateur, le père Arsonnet ; 622 francs au tailleur, 240 au bottier, 400 à divers. Ceux-là patienteraient-ils encore un an ? C’était douteux, car presque tous, déjà, avaient réclamé leur note.

À Sainte-Marie, Valadier ne devait presque rien, ayant bien compris que, là, il se poserait trop mal s’il ne payait pas rubis sur l’ongle. Mais restaient les vingt-sept mille francs dus encore à la veuve Laffitte sur les trente-cinq qu’avaient coûté clientèle, mobilier et maison, payables cinq mille comptant et le reste en six années. Une échéance était passée, la seconde allait arriver ; or, sur la première, Valadier au lieu de cinq mille n’en avait versé que trois. Cette fois-ci, il n’avait en caisse que dix-huit cents francs ! Que faire ? Prendre les devans, aller trouver la veuve, implorer un délai ? À quoi bon ! Elle gémirait, se plaindrait de l’exiguïté de ses ressources, affirmerait qu’elle avait un pressant besoin de son argent…

« Son argent ! son argent !… répétait Valadier. Oui, parlons-en. J’ai été volé comme dans un bois le jour où, il y a trois ans, ils m’ont affublé de la défroque du vieux Laffitte. La maison craquait de partout, les instrumens démodés, la bibliothèque pleine de livres surannés ! Quant à la clientèle, Laffitte, qui à la fin se négligeait beaucoup, qui buvait comme un chantre, qui envoyait ses notes à tort et à travers, l’avait tellement mécontentée, qu’elle devait, nécessairement, faire grise mine au successeur. Je m’en suis assez aperçu ! »

Et dire que c’était un homme en qui il avait confiance, un de ses anciens, qui l’avait trompé en lui attestant que cette suite du père Laffitte était « une gentille petite affaire ».

Il s’en souvenait, comme si c’était hier, du jour où, à la porte de l’hôpital, le docteur Galder avec sa cordialité bon enfant lui mettant sa large main sur l’épaule :

— Mon garçon, j’ai quelque chose pour vous… Une occasion de vous établir… Venez tantôt dîner chez moi.